3. Formuler une stratégie interculturelle. Conseil de l’Europe la cité interculturelle pas à pas
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La cité interculturelle pas à pas fait-il partie du programme scolaire ou fait-il l’objet de projets spécifiques réalisés en dehors du programme ? Les enseignants ont-ils reçu une formation aux compétences interculturelles ? Les écoles ont-elles un profil ethnique correspondant à la diversité de la ville ou y a-t-il une tendance à la polarisation, aboutissant à des écoles mono culturelles ? Comment contrer une telle tendance ? Comment une école interculturelle peut-elle exercer une influence sur son environnement et, en particulier, comment l’école peut-elle impliquer des parents de plusieurs origines ethniques dans le processus éducatif et contribuer à renforcer le tissu social ?
Dans l’idéal, à l’issue de l’audit interculturel mené dans le domaine de l’éducation, les initiatives visant à renforcer l’impact interculturel du système scolaire ne seront pas limitées à des projets isolés mais aborderont l’ensemble des éléments et facteurs
– de la diversité des élèves et du corps enseignant à l’apparence extérieure et intérieure des établissements, les contenus pédagogiques, et les liens entre l’école et son environnement.
Pour développer efficacement les compétences interculturelles, l’école doit adopter une approche holistique, non limitée au programme :
• enseignement de la langue maternelle (ou reconnaissance de la maîtrise de la langue maternelle) ;
• véritable partenariat avec les parents et participation de ces derniers aux politiques de l’établissement et à la vie de l’école ; mesures spécifiques pour contacter les parents migrants et les inviter à s’associer aux activités ;
• recherche de la bonne approche pour toucher les parents : une école a décidé de tenter une expérience en envoyant une invitation aux parents non pas sous pli fermé – souvent, les parents n’ouvraient pas les enveloppes d’apparence officielle – mais sur un carton de type carte postale. Le taux de réponse a été bien plus élevé ;
• liens vers des établissements d’autres confessions (pour les écoles confessionnelles) ;
• diversité ethnique des enseignants ;
• interaction avec le tissu local ;
• projets interculturels ;
• brassage ethnique des élèves ;
• représentation de la diversité dans la conception/décoration intérieure de l’école ;
Eléments d'une stratégie interculturelle
• enseignement et programmes : enseignement du fait religieux (sociologie et histoire des religions), perspective interculturelle dans toutes les disciplines et pas seulement dans les sciences humaines, enseignement de l’histoire en prenant appui sur des points de vue multiples ;
• encouragements destinés aux élèves issus de l’immigration afin qu’ils participent activement aux processus démocratiques au sein de l’école ;
• formation interculturelle du corps enseignant ;
• parrainage des élèves membres de minorités ethniques par des élèves appartenant
à la majorité.
Le Conseil de l’Europe a mis au point, avec le concours de 30 enseignants, chefs d’établissements et experts de l’Europe entière, un outil dont la vocation est d’aider enseignants et apprenants à évaluer leurs compétences interculturelles ou en matière de diversité, c’est-à-dire leur comportement dans le contexte de la diversité
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.
Exemples
A Vic (Espagne), les inspecteurs pédagogiques, l’enseignant en charge de l’espace
« accueil scolaire », les directeurs d’établissements scolaires et le conseiller municipal à l’éducation se réunissent toutes les deux semaines pour attribuer un établissement aux élèves nouveaux arrivants. Ils tiennent compte de leur lieu de résidence, de l’école que fréquentent leurs frères et sœurs, de leur niveau scolaire et du nombre de places disponibles. L’objectif est de répartir au mieux les enfants de chaque nationalité ou groupe ethnique entre les écoles afin d’éviter la polarisation ethnique. Cette méthode fonctionne bien pour les écoles publiques, un peu moins pour les écoles privées, qui rechignent à accepter plus d’un minimum d’enfants migrants. La ville reste cependant ferme sur sa politique.
A Reggio d’Emilie (Italie), le centre interculturel Mondinsieme a élaboré un programme éducatif interculturel à l’intention des écoles d’enseignement secondaire.
Sont notamment abordées des questions telles que la religion, les médias et les préjugés ethniques, la culture et l’alimentation, etc. La tenue de débats en classe, la préparation de vidéos et de textes écrits, la réalisation de projets afin d’explorer la
43. www.coe.int/t/dg4/education/pestalozzi/intercultural/ICtool/ICTool%20v.3.0_EN.pdf.
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La cité interculturelle pas à pas diversité culturelle de la ville (boutiques ethniques, restaurants, etc.) et la communication des résultats à la collectivité font partie du travail régulier qui est demandé tout au long de l’année scolaire. Les médiateurs du centre Mondinsieme observent le comportement des élèves et proposent diverses activités pour aider à mélanger les groupes et lutter contre l’isolement et une polarisation ethnique excessive.
La Gamlebyen Skole, à Oslo (Norvège), est une école primaire classique de centreville où se côtoient de nombreuses langues et où se juxtaposent plusieurs problématiques socioculturelles complexes. L’environnement de l’école intègre des références à la culture d’origine des enfants issus de l’immigration : mur d’escalade composé de lettres des alphabets du monde entier, colonne en bois sculpté réchappée de la destruction d’une mosquée pakistanaise, tissages et autres objets créant une atmosphère chaleureuse et accueillante. Le programme scolaire prévoit un apprentissage à la fois culturel et interculturel. Un outil de comparaison permet aux enseignants de vérifier où ils en sont sur les questions de diversité, notamment lorsqu’il s’agit d’associer aux activités les parents de différentes origines. L’école a publié un livre, fruit d’un projet avec Ankara, et réalise actuellement un film avec des
écoles turques et danoises.
La Förskolan Örnen, dans le quartier d’Alby (Botkyrka, Suède), compte 130 élèves, dont 99 % ont le suédois pour seconde langue. La philosophie du personnel est ancrée dans le respect des droits de l’homme, de la démocratie et des principes de la transculturalité et du constructivisme social, en lien avec les travaux de Per Dahlbeck, professeur de pédagogie à Malmö, mais aussi avec ceux du Centre Malaguzzi,
à Reggio d’Emilie. Ces travaux cherchent à encourager chez les enfants des valeurs d’ouverture et de curiosité, ainsi qu’une aversion pour le nationalisme et autres idéologies extrémistes. Par exemple, face à une classe multiethnique, beaucoup d’écoles pourraient encourager les élèves à définir leur identité en fonction de leur drapeau national ou de signifiants du pays d’origine de leurs parents. Elles rejettent pourtant cette méthode parce que celle-ci force les enfants à se choisir immédiatement une identité fixe, et elles préféreraient permettre aux élèves de se créer une identité hybride, avec une représentation plus précise de la transculturalité de leur vie quotidienne, dans laquelle tout se forme et se transforme en permanence.
Chaque enfant est traité comme un individu plutôt que comme le produit d’une origine culturelle ou sociale archétypale.
Eléments d'une stratégie interculturelle
Le sentiment d’appartenance est important pour qu’un enfant se forge une identité mais ce sont généralement des tiers qui le définissent. C’est pourquoi on fournit des appareils photo aux enfants qui sont invités à explorer leur quartier et à identifier les lieux qui ont pour eux une signification. On leur demande de raconter ce qui rend un lieu attrayant ou déplaisant, et de préciser qui formule ces jugements et pourquoi – tout ça à l’âge de 5 ans !
Un autre projet encore plus spécifiquement interculturel comportait un programme de jumelage avec une école ne comptant que des élèves blancs dans le centre-ville prospère de Södermalm. Les élèves ont exploré de concert leur environnement local respectif, en se décrivant leurs impressions mutuelles. Très vite, les enfants ont constaté que la langue n’était pas un mode de communication simple ; en effet, de nombreux enfants d’Örnen parlaient un suédois limité – et étaient stupéfaits de découvrir que la plupart des enfants de Södermalm parlaient uniquement le suédois, alors qu’eux-mêmes étaient polyglottes. Il leur a donc fallu imaginer des moyens de communication non verbaux, une compétence essentielle qui leur servira le restant de leur vie dans un monde multiethnique. Ils ont également été emmenés dans un troisième lieu neutre, où ils ont pu se détendre en compagnie les uns des autres et créer ensemble des objets en glace.
Pour aller plus loin
Huber, Joseph (dir.), Intercultural competence for all – Preparation for living in a heteroge-
neous world, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2012.
b. L’espace public
Les espaces et équipements publics sont importants pour plusieurs raisons. La plupart des citoyens sont appelés à les utiliser de temps en temps, ce qui augmente les possibilités de rencontres entre étrangers. Ils peuvent également renforcer la solidarité interculturelle, par exemple autour de projets de développement ou de fermeture d’équipements, qui peuvent susciter un vif intérêt de la part de la population. Des espaces animés et bien gérés peuvent devenir emblématiques des ambitions interculturelles de la ville. A l’inverse, une mauvaise gestion peut susciter la suspicion et la peur de l’étranger.
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Le rôle de l’urbanisme interculturel est de créer une dynamique spatiale qui invite à la rencontre et facilite les échanges entre personnes de différentes origines, et de minimiser les espaces encourageant l’évitement, l’appréhension ou la rivalité.
La démarche de création d’espaces interculturels des professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement de l’environnement bâti n’est pas motivée par un « souci des minorités ». Elle requiert un engagement et une reconnaissance beaucoup plus profonde de toutes les formes de différences existant dans la ville, et une préparation de la part de tous ceux qui conçoivent, construisent, gèrent et utilisent les lieux de l’espace urbain.
La pratique de l’aménagement multiculturel a établi d’importants principes comme l’exigence d’égalité et un traitement juste et équitable pour tous dans l’application du code de l’urbanisme. Cependant, la cité interculturelle attend davantage de ses habitants, des professionnels et de la classe politique.
Alors que le multiculturalisme est fondé sur des notions statiques d’identité de groupe, l’interculturalisme suppose un environnement dynamique, en perpétuel changement, dans lequel l’individu et la collectivité expriment des identités et des besoins multiples, hybrides et évolutifs.
Dans un environnement aussi complexe, les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement nécessitent non seulement une nouvelle palette de compétences, mais encore une nouvelle mentalité axée autour de trois volets : principes, sensibilisation et compétences, connaissances et pratiques. En résumé, il s’agit d’une éducation à la compé tence culturelle
en vue d’acquérir une compétence interculturelle
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Principes
• La diversité des personnes, des lieux, des usages et des formes d’appropriation n’est pas un problème qu’il faut gérer mais un atout à valoriser.
• Notre objectif ne devrait pas être d’avoir des lieux que l’on s’approprie, mais des personnes qui appartiennent à des lieux.
• Une bonne conception favorise l’autonomie, une mauvaise conception crée le handicap.
• Les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement ne peuvent à eux seuls réaliser le changement – il va de soi qu’ils doivent cultiver la collaboration interdisciplinaire.
Eléments d'une stratégie interculturelle
• Les ingrédients du conflit sont inhérents à l’interculturalité. L’art de créer des lieux de convivialité n’est pas de les ignorer ou de les éviter, mais de savoir les gérer en les intégrant au processus de création.
• Les formes d’appropriation et d’occupation de l’espace basées sur l’identité sont un expédient à court terme ; à long terme, c’est une source de fragmentation et de contestation réductrice.
• Il ne faut pas se demander quel est le coût d’une démarche de création d’espace compétente sur le plan interculturel, mais plutôt ce qu’il en coûterait de ne pas le faire.
• L’aménagement de l’espace dans une logique d’interculturalité doit dépasser la problématique de l’immigration et de la diversité ethnique pour englober tous les aspects de la différence dans les communautés urbaines contemporaines.
• Les deux obstacles les plus fréquents aux nouvelles formes d’aménagement de l’espace sont deux réponses préjudiciables : « on ne peut pas le faire » et « cela coûte trop cher ». La première est une erreur de design thinking ; la seconde, une erreur de pratique comptable.
Sensibilisation et compétences
• Le cerveau humain est capable de perceptions sensorielles et de mobiliser des intelligences multiples ; il requiert une stimulation rationnelle et affective dans une
égale mesure. Les approches traditionnelles de l’urbanisme et de la construction ont nié la plupart de ces traits, empêchant ainsi la majorité de participer et renfor-
çant le pouvoir de quelques-uns.
• La compétence la plus importante des acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement est la capacité d’écoute : ils doivent écouter tout ce que les gens ont à dire pour comprendre la façon dont ils utilisent l’espace et vivent leur vie, de même que leurs aspirations. Ils doivent ensuite travailler avec les populations concernées pour le traduire dans des systèmes experts.
• Les professionnels doivent toujours avoir conscience des biais inhérents à leur propre éducation et formation ; ils doivent régulièrement chercher à prendre du recul sur ces biais et à les dépasser.
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• Il faut savoir que les personnes expriment leur rapport à l’environnement de manière très diverse, mais utilisent rarement le langage du professionnel.
• Le professionnel ne peut certes pas acquérir une bonne connaissance de toutes les langues et de tous les traits culturels d’une population diverse. Il peut néanmoins développer une expertise qui lui permettra de reconnaître les « moments interculturels » clés, lorsque la communication est recherchée et offerte, et de choisir les moyens d’expression appropriés.
• Ne pas tout prendre pour argent comptant – toujours rechercher les compétences, les ressources et les connexions cachées dans un lieu.
• Si l’on veut doter les citoyens et les professionnels de compétences interculturelles, on ne s’y prendra jamais trop tôt. Une préparation à l’interculturel devrait être envisagée dans les programmes des premières années d’études.
• Les plus beaux cadeaux que les professionnels de l’urbanisme et de l’aménagement puissent faire aux villes ne sont pas des plans ou des structures physiques, mais leurs compétences de facilitateurs ou médiateurs, c’est-à-dire leurs aptitudes à créer des opportunités.
• La plupart des meilleurs espaces interculturels émergent de façon spontanée, sans avoir été planifiés ; tout l’art d’un bon urbaniste est de savoir quand intervenir et quand privilégier la non-intervention.
Connaissances et pratiques
• De bons urbanistes formés à l’interculturel n’ont pas réponse à tout, mais ils savent généralement où chercher ou à qui demander.
• Ils ont l’humilité de reconnaître les limites de leurs connaissances et la curiosité de vouloir aller plus loin.
• Le dialogue avec les habitants n’est pas une démarche ponctuelle, mais un processus constant d’écoute, d’apprentissage, de conception, d’intervention, puis d’écoute à nouveau – non pas comme un moyen pour arriver à une fin, mais comme une fin en soi.
• Les équipes professionnelles qui interviennent dans l’espace urbain, dans les municipalités et ailleurs, devraient constamment chercher à accroître la diversité de leurs membres par la formation, le recrutement et la collaboration.
Eléments d'une stratégie interculturelle
• Les urbanistes n’ont pas peur de se tromper et n’hésitent pas à rectifier si nécessaire – l’erreur est humaine et la création de lieux de convivialité est fondée sur l’empathie, pas sur l’infaillibilité.
• La création d’un lieu de convivialité est un acte de cocréation entre les habitants et les professionnels. Trois questions sont à poser :
– que faites-vous déjà pour ce lieu ?
– cet espace, comment le rêvez-vous ?
– que vous engagez-vous à faire pour ce lieu ?
Questions à se poser concernant le potentiel interculturel du domaine public : Les principaux lieux publics et institutions de la ville reflètent-ils sa diversité ou sont-ils monoculturels ? Comment les différents groupes se comportent-ils dans les espaces publics : cherchent-ils à s’éviter ou à entrer en contact ? L’atmosphère est-elle positive, neutre ou tendue ? Quelle est la situation du domaine public municipal ? Est-il protégé, sûr et bien entretenu, est-il en cours de privatisation, est-il peu sûr ou en voie de détérioration ? Les professionnels municipaux en charge de l’architecture et de l’urbanisme sont-ils formés à l’interculturel ? L’interaction sociale est-elle considérée comme une priorité dans l’aménagement des nouveaux espaces publics ? Les espaces et les modes de consultation sont-ils suffisamment souples et diversifiés pour s’adapter à des styles de participation non occidentaux et à des formes d’expression non verbales ?
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Exemples
Dans le cadre du programme Ruhr 2010 – Capitale européenne de la culture –, le quartier de Marxloh, à Duisbourg (Allemagne), a été le théâtre d’une expérience d’urbanisme pluriculturel intitulée « Marxloh, Istanbul ». Le terrain séparant la nouvelle mosquée Merkez de l’église catholique, requalifié en application du critère de l’aménagement spécial, a fait l’objet d’un concours d’idées ouvert aux jeunes créateurs, sans leur imposer les restrictions normalement prévues par la réglementation en matière de construction. Le but était de renforcer l’identification et les liens affectifs des habitants avec l’ensemble de leur quartier et d’attirer de nouveaux habitants, séduits par l’image cosmopolite de Marxloh 44 .
44. www2.kulturhauptstadt-europa.de/en/program/projects/urban-quarters/marxlohistanbul.html.
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