Nathan L'Apprenti Philosophe Manuel utilisateur
Philosopher , c’est avant tout savoir questionner, construire un raisonnement, et penser par soi-même…
Par une approche originale, L’Apprenti Philosophe vous initie à cette démarche à travers les grands thèmes du programme.
Voici donc, pour s’interroger sur l’État et la société :
●
Des dialogues entre un « maître » et un « apprenti philosophe », qui dégagent les problématiques essentielles et les erreurs à éviter.
● Des citations , un résumé, et les définitions des notions à connaître, après chaque dialogue.
●
Dans une seconde partie, des textes d’auteurs , associés aux différentes problématiques, pour approfondir la réflexion.
En prolongement du cours, ou pour préparer un devoir :
L’Apprenti Philosophe , un outil original pour apprendre à penser par soi-même et réussir en philosophie !
Titres déjà parus :
●
La conscience, l’inconscient et le sujet
●
L’opinion, la connaissance et la vérité
●
La raison et le sensible
●
L’art et le beau
●
L’État et la société
●
Liberté et déterminisme
ISBN 2 09 184481-0
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L'État la Société
Collection dirigée par Oscar Brenifier
L’ État
et la
Société
Oscar Brenifier
Docteur en Philosophie et formateur
(ateliers de philosophie et philosophie pour enfants)
Joël Coclès
Professeur certifié de Philosophie en Terminale
Marc Amiot
Professeur certifié de Philosophie en Terminale
Isabelle Millon
Documentaliste
Nous remercions Emmanuel Gross pour son aide précieuse, ainsi que André Delaperrière pour sa contribution à cet ouvrage.
Responsabilité éditoriale : Christine Jocz
Édition : Christine Grall
Correction : Jean Pencréac’h
Conception graphique : Marc et Yvette
Coordination artistique : Thierry Méléard
Fabrication : Jacque Lannoy
Photocomposition : CGI
© Nathan/VUEF 2002 - ISBN 2.09.184481-0
Avant-propos
Notre choix : la pratique philosophique
Ce guide d’initiation au philosopher s’adresse plus particulièrement aux élèves de Terminale, ainsi qu’aux adultes désireux de s’initier à la philosophie. Son choix est d’être avant tout une
pratique philosophique, c’est-à-dire un exercice de questionnement, une construction visible de la pensée. Il part du principe que philosopher est un acte on ne peut plus naturel, même si de nombreux obstacles entravent ce processus – des habitudes déjà bien ancrées, induisant une certaine complaisance, qui nous font prendre pour acquises et certaines des opinions glanées ici ou là : à la télévision, à la maison, voire dans un cours. Pensées toutes faites qu’il ne nous viendrait plus à l’idée d’interroger, ne serait-ce qu’un bref instant.
Nous proposons donc un dialogue, échange entre Victor et son amie philosophe, dialogue censé être celui de l’élève avec lui-même. C’est l’outil avec lequel, en même temps que Victor, vous pourrez vous entraîner à philosopher. Victor doit apprendre à s’interroger, pour penser par lui-même ; il doit installer en sa propre démarche le réflexe de mise à l’épreuve des idées, et à partir de ses propres idées, apprendre à formuler des questions, à profiter de ses intuitions mais aussi de ses erreurs. Ses tâtonnements et ses difficultés l’amèneront à comprendre ce qui constitue la démarche philosophique.
Des commentaires insérés dans les dialogues explicitent les problèmes typiques de l’apprentissage de la pensée philosophique et mettent en valeur diverses solutions apportées. Des citations d’auteurs soutiennent ou contredisent les propos énoncés. Un certain nombre de grandes questions sur le thème à traiter – les problématiques –, recensées en marge au fil du dialogue, vous aideront à travailler les idées. Une sélection de textes classiques, dont chacun est suivi de trois questions de compréhension, vous permettra de préciser et d’approfondir la réflexion.
Notre objectif est bien que l’apprenti s’entraîne à élaborer une pensée philosophique, en se confrontant à lui-même et aux autres.
, mode d’emploi
L’Apprenti Philosophe comprend deux grandes parties,
Dialogues et Textes, qui constituent deux modes d’entrée possibles dans l’ouvrage.
Les Listes finales offrent une troisième possibilité.
Les dialogues
Ils vous aideront à élaborer et à reconnaître les problématiques.
7
État et morale
V
ICTOR
– J’ai vu un vieux film à la télévision l’autre jour : Le Bigame.
Remarques méthodologiques
Identification d’une erreur méthodologique
Identification du traitement réussi d’un obstacle
(résolution).
➤
Exemple analysé
Problématique 6 :
➤
L’État doit-il obéir à la morale ?
(texte p. 87)
Problématiques 19,
H
ÉLOÏSE
– Ah bon ?
V
ICTOR
– Tu vas comprendre tout de suite pourquoi j’en parle. Un homme était condamné pour bigamie. Son avocat expliquait au juge que s’il avait eu les mêmes relations avec deux femmes sans se marier, on n’aurait pas pu le condamner. Ses deux femmes ne voulaient pas le poursuivre en justice. Or je me demande de quel droit l’État se mêle de morale, puisqu’il s’agit là uniquement de la vie privée des citoyens.
L’exemple cité sert à s’interroger sur le rapport entre « État » et
« morale ».
Renvoi à l’une
(obstacle).
21, 23, 25
H
ÉLOÏSE
– Que répondre ?
V
ICTOR
– Ce que je viens de dire : la morale relève de l’opinion, ça ne regarde pas la justice ni l’État.
H
ÉLOÏSE
– Comment cela ?
V
ICTOR
– Évidemment ! La morale est subjective, c’est une affaire privée et l’État s’occupe de ce qui est public, il ne s’occupe ni de ce qui est privé, ni de morale. Si on confond le public et le privé, l’État abuse nécessairement de son pouvoir.
➤
➝
C
ITATIONS
1
ET
2 des citations
énoncées
à la fin du dialogue.
Elles confirment
Problématique
surgie à cette étape du dialogue, avec renvoi à un texte de la Partie 2.
Fausse
évidence
Paralogisme
L’idée d’une opposition radicale entre « public » et « privé » en ce qui concerne « l’État » demande à être explicitée ou justifiée.
H
ÉLOÏSE
– Sur quoi portent les problèmes de justice ?
V
ICTOR
– Sur le fait de se défendre contre ceux qui vous font du mal. Si on vous vole, si on vous frappe, si on vous assassine. L’État est là pour nous protéger des autres.
H
ÉLOÏSE
– Qui se défend ici ?
V
ICTOR
– Les victimes ! Elles portent plainte, elles poursuivent en justice.
Celui qui est « assassiné » ne peut plus agir contre son agresseur.
Ce problème particulier, identifié, aurait pu servir de base à un développement intéressant.
ou contredisent ce qui est exprimé.
63
À la fin de chaque dialogue :
Un ensemble de citations L’essentiel du dialogue
Les échos des philosophes
➝
L
ES NUMÉROS DES CITATIONS RENVOIENT AU DIALOGUE
.
1-
« Ainsi il faut qu’il [un prince] ait l’esprit disposé à se tourner dans le sens que commandent les vents de la fortune et les variations des choses, et […] ne pas s’écarter du bien s’il le peut, mais savoir entrer dans le mal, s’il y est contraint. »
M
ACHIAVEL
, Le Prince, 1513.
2-
« Mais qu’est-ce que nous appelons erreur dans l’art politique ?
N’est-ce pas la malhonnêteté, la méchanceté et l’injustice ? »
P
LATON
, Politique,
IVe s. av. J.-C.
3-
« […] La mission de l’État est ité de la vie, de l
Les pensées de plusieurs auteurs feront écho aux vôtres, sous des formes plus accomplies.
la
E n r é s u m é . . .
C’est sur le plan de l’administration du droit et de la justice que les rapports entre l’État et la société se révèlent complexes et problématiques. Cela tient sans doute à ce que ces domaines sont plus que d’autres un lieu de re i é t le public, le moral et le politique, la liberté et l’autor
Les définitions des notions apparues dans le dialogue
L e s n o t i o n s - o u t i l s
Justice : norme ou principe moral commandant la conform des actions ou des idées par rapport au droit ou au bien.
Ensemble des institutions administrant, dans un État, le pouvoir judiciaire, l’application du droit positif.
R
Les textes d’auteurs
Chaque texte répond à une problématique surgie dans les dialogues.
P r o b l é m a t i q u e s 5 e t 6
Problématique concernée.
Trois questions apprennent
à identifier et
à préciser les concepts de l’auteur.
Les réponses figurent en fin d’ouvrage.
Problématique
➤
Machiavel
6 L’État doit-il obéir à la morale ?
I
l n’est pas bien nécessaire qu’un prince les [bonnes qualités] possède toutes, mais il l’est nécessaire qu’il paraisse les avoir.
J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les mon-
Le Prince (1513), chap. XVIII, trad. J.-V. Périès, coll. « Les Intégrales de Philo »,
© Éditions Nathan,
1998, pp. 96-97.
P trait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais
➤
il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir en savoir au besoin montrer les qualités opposées.
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent : il faut que […] il ne s’écarte pas à la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion […] : car les hommes, en général, jugent
➤
plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain.
Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État : s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ?
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Pourquoi le prince doit-il se tenir à l’écart de la morale ?
2 Pourquoi doit-il néanmoins paraître vertueux ?
3 Pourquoi le peuple accepte-t-il l’immoralité du prince ?
Texte classique proposant une réflexion en laison avec la problématique.
Les listes finales
Elles vous permettront de circuler dans l’ouvrage pour réfléchir à une problématique, préciser un concept ou acquérir un point de méthode.
Liste des problématiques
Pour chaque problématique, un renvoi aux différents dialogues où cette problématique apparaît et au texte d’auteur où elle est abordée.
Cette liste permet en outre d’avoir une vision globale des problématiques liées au thème.
Liste des remarques méthodologiques
Elle recense et définit toutes les erreurs
(obstacles) du dialogue et les solutions
(résolutions) suggérées, exemples à l’appui.
Index des notions-outils
Il renvoie aux dialogues où elles sont définies.
Sommaire
Avant-propos
Mode d’emploi
Partie 1 : Dialogues
Dialogue 1 :
Communauté et société
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10 à 14
Les échos des philosophes : citations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
En résumé
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
Les notions-outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Dialogue 2 :
Règles et société
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18 à 23
Les échos des philosophes : citations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
En résumé
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
25
Les notions-outils
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
25
Dialogue 3 :
Société et conformisme
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27 à 32
Les échos des philosophes : citations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
33
En résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 es notions-outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Dialogue 4 :
Loi et État
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
37 à 42
Les échos des philosophes : citations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
En résumé
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
44
Les notions-outils
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
44
Dialogue 5 :
État et propriété
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
46 à 50
Les échos des philosophes : citations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
51
En résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Les notions-outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Dialogue 6 :
État et liberté
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
54 à 59
Les échos des philosophes : citations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
59
En résumé
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
61
Les notions-outils
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
61
Dialogue 7 :
État et morale
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63 à 68
Les échos des philosophes : citations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
En résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Les notions-outils
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
70
Dialogue 8 :
Société et pluralité
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
72 à 77
Les échos des philosophes : citations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
77
En résumé
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
79
Les notions-outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Sommaire
Partie 2 : Textes
Weil - problématique 1 :
La société se confond-elle avec la communauté ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . 82
Mill - problématique 2 :
L’intérêt est-il fondement premier de la société ?
. . . . . . . . . . . . . . . . .
83
Bakounine - problématique 3 :
L’État est-il au service de l’individu ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
84
Freud - problématique 4 :
Une société doit-elle exclure pour exister ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Rawls - problématique 5 :
L’égalité est-elle possible en société ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Machiavel - problématique 6 :
L’État doit-il obéir à la morale ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
87
Hegel - problématique 7 :
L’État représente-t-il l’aboutissement historique de la vie en société ?
. . .
88
Rousseau - problématique 8 :
Une société a-t-elle nécessairement une finalité ?
. . . . . . . . . . . . . . . . 90
Locke - problématique 9 :
Le droit de propriété est-il une entrave à la vie en société ?
. . . . . . . . .
91
Aristote - problématique 10 :
L’homme est-il fait pour vivre en société ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
92
Smith - problématique 11 :
La liberté individuelle est-elle compatible avec la vie en société ?
. . . . 93
Marx et Engels - problématique 12 :
La société représente-t-elle l’aliénation de l’individu ?
. . . . . . . . . . . . . 94
Marx - problématique 13 :
La société repose-t-elle sur des conventions arbitraires ?
. . . . . . . . . . .
95
Aristote - problématique 14 :
La société a-t-elle nécessairement raison contre l’individu ?
. . . . . . . . .
96
Arendt - problématique 15 :
Toute société engendre-t-elle le conformisme ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Hume - problématique 16 :
La société améliore-t-elle l’être humain ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Sommaire
Kant - problématique 17 :
Le conflit met-il en danger la société ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Nietzsche - problématique 18 :
Peut-on concevoir une société sans État ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
101
Engels - problématique 19 :
L’État est-il un mal nécessaire ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
103
Hobbes - problématique 20 :
L’État résulte-t-il d’un compromis social ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
104
Hobbes - problématique 21 :
L’État doit-il se soumettre au peuple ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
105
Platon - problématique 22 :
L’État doit-il se conformer au droit ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
Hayek - problématique 23 :
L’État doit-il surveiller ou diriger ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Weber - problématique 24 :
La violence est-elle nécessaire à l’État ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Hume - problématique 25 :
L’existence de l’État échappe-t-elle à toute justification ?
. . . . . . . . . . . 110
Spinoza - problématique 26 :
L’État est-il une fin en soi ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
111
Listes finales
Liste des problématiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
113
Liste des remarques méthodologiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
115
Index des notions-outils
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
121
Réponses aux questions sur les textes
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
122
Partie
1
Dialogues
Victor : un élève de Terminale.
Héloïse : une amie philosophe.
Ils s’interrogent sur l’État et la société.
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
1
Communauté et société
H
ÉLOÏSE
– Tu n’as pas l’air heureux aujourd’hui !
V
ICTOR
– J’en ai assez, mes parents se sont encore disputés !
H
ÉLOÏSE
– Pourquoi donc ?
V
ICTOR
– Bah, tu sais, ça leur arrive de temps à autre.
H
ÉLOÏSE
– Cela ne m’explique pas pourquoi ils se sont disputés.
V
ICTOR
– Ils m’énervent quand ils font ça.
Une réponse est faite, qui ne fournit aucune analyse de la situation : elle renvoie à un simple sentiment, sans en examiner la raison.
Précipitation
Exemple inexpliqué
H
ÉLOÏSE
– Est-ce toujours pour la même raison qu’ils se disputent ?
V
ICTOR
– Cette fois, mon père exagère vraiment !
H
ÉLOÏSE
– Tu ne souhaites pas révéler la cause de la dispute ?
V
ICTOR
– Si, il n’y a rien de secret ! Ma mère s’est absentée hier soir, pour aider une association qui s’occupe des gens démunis : on leur donne à manger, des vêtements, tout ça quoi…
On ne connaît toujours pas les enjeux de la dispute.
H
ÉLOÏSE
– Et c’est pour cela que ton père s’est fâché ?
V
ICTOR
– Quand même pas !
H
ÉLOÏSE
– Eh bien moi, je ne comprends toujours pas pourquoi ils se sont disputés.
V
ICTOR
– Depuis le début du mois, ça fait plusieurs fois qu’elle s’absente le soir, et ma petite sœur a rapporté de l’école un carnet de notes épouvantable.
H
É L O Ï S E
– Est-ce que je suis censée maintenant comprendre la raison de la dispute ?
V
ICTOR
– Tu ne devines pas ?
H
ÉLOÏSE
– J’aimerais autant que tu m’expliques sur quoi porte leur désaccord.
10
D i a l o g u e 1 / C o m m u n a u t é e t s o c i é t é
Problématique 1 :
La société se confond-elle avec la communauté ?
(texte p. 82)
Problématique 2
Concept indifférencié
Perte de l’unité
Problématique 3 :
L’État est-il au service de l’individu ?
(texte p. 84)
Problématiques 4,
5, 6, 7
Perte de l’unité
Incertitude paralysante
V
ICTOR
– Mon père a dit à ma mère qu’il faut d’abord s’occuper de sa famille, en priorité, avant de s’occuper de la société, parce que de toute façon, on ne va pas régler tous les problèmes du monde. Alors qu’à la maison, elle peut se rendre utile, car ses enfants ont besoin d’elle. Lui, il rentre déjà tard le soir et il n’arrive pas à tout faire seul.
➝
C
ITATIONS
1
ET
2
Le concept d’« utilité » comme critère du rapport social ou familial, qui sert ici à articuler la différence de points de vue, n’est pas suffisamment défini.
H
ÉLOÏSE
– Et ta mère, qu’a-t-elle répondu ?
V
ICTOR
– Elle a répondu qu’il était pénible, qu’il pouvait faire un effort, qu’elle était majeure, et qu’elle avait bien le droit de sortir de la maison quand elle le voulait.
L’argument utilisé précédemment, le concept d’« utilité », n’est pas traité. Il est remplacé par celui de la « liberté », sans rendre explicite ou justifier ce basculement.
H
ÉLOÏSE
– Mais sur le fait de devoir s’occuper en priorité de sa famille, a-t-elle réagi ?
V
ICTOR
– Elle a répondu que le gouvernement pour qui il avait voté aux dernières élections ne faisait pas son travail, car il y a des exclus de la société tandis qu’on dépense plein d’argent pour l’armement, ce qu’elle considère comme inacceptable et immoral. Alors il faut bien que des gens de bonne volonté s’en occupent. Après ça, elle a claqué la porte et elle est partie. ➝
C
ITATIONS
3
ET
4
Un nouveau type d’argument surgit : la « moralité ». Mais il n’est ni suffisamment explicité, ni mis en rapport avec les autres arguments : l’« utilité » et la « liberté ».
H
ÉLOÏSE
– Et toi, quel est ton jugement sur la question ?
V
ICTOR
– Quelque part, ils ont raison tous les deux.
À défaut de trancher et de justifier le choix, comme il est demandé, il s’agirait ici d’analyser et de comparer la nature des arguments, voire de formuler une problématique.
H
ÉLOÏSE
– Est-ce ta conclusion ?
V
ICTOR
– Je n’en sais rien. Je ne veux pas prendre parti entre les deux : je préfère ne pas m’en mêler.
H
ÉLOÏSE
– Tu as bien une petite idée à toi sur la question ! Tu sais que je ne le leur dirai pas…
11
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Difficulté
à problématiser
Problématique 2 :
L’intérêt est-il le fondement premier de la société ?
(texte p. 83)
Problématiques 5,
8, 9, 10
Indétermination du relatif
Problématique 11 :
La liberté individuelle est-elle compatible avec la vie en société ?
(texte p. 93)
Problématique 12
V
ICTOR
– C’est vrai que ma mère se trouve souvent seule à la maison, et on a tous besoin de rencontrer du monde, de discuter, de voir d’autres choses. Mon père ne comprend pas ça parce qu’il travaille à l’extérieur, même s’il avoue se sentir coincé dans son bureau.
Plusieurs problématiques assez porteuses pourraient être proposées autour des idées qui ont déjà émergé au cours de la discussion, mais aucune n’est mise en avant. Le discours passe à d’autres considérations générales, sur le « besoin » de rapports humains.
H
ÉLOÏSE
– Ton père ne pense pas qu’on ait besoin de rencontrer d’autres personnes ?
V
ICTOR
– Il prétend que s’il ne tenait qu’à lui, il vivrait sur une île déserte ou dans un village abandonné. Il croit que la société nous rend mauvais, car c’est uniquement pour des raisons économiques que les hommes se regroupent. Et c’est pour ça qu’ils se querellent en permanence : chacun veut posséder le plus possible.
➝
C
ITATIONS
5
ET
6
H
ÉLOÏSE
– Tu es d’accord avec lui ?
V
ICTOR
– Je crois que ça dépend.
Si les circonstances peuvent modifier la nature du jugement, il est nécessaire d’en donner une idée plus concrète. Sans quoi, aucune analyse substantielle n’est avancée sur la thèse à étudier.
H
ÉLOÏSE
– Cela dépend de quoi ?
V
ICTOR
– Ça dépend de chacun, de sa personnalité.
H
ÉLOÏSE
– Et selon ta personnalité à toi, qu’en pensestu ?
V
ICTOR
– Ne te moque pas trop de moi ; je suis encore agacé par cette histoire.
H
ÉLOÏSE
– Alors qu’en est-il pour ton être si sensible ?
V
ICTOR
– Tu as vraiment de la chance que je t’aime bien, sinon…
H
ÉLOÏSE
– Oui ?
V
ICTOR
– J’ai peut-être intérêt à me concentrer sur tes questions. Ça me calmera sans doute... Je crois que nous ne sommes pas vraiment libres en société, comme on le sait depuis toujours.
➝
C
ITATIONS
7
ET
8
12
D i a l o g u e 1 / C o m m u n a u t é e t s o c i é t é
Opinion reçue
Problématique 13 :
La société repose-t-elle sur des conventions arbitraires ?
(texte p. 95)
Problématiques 11,
12, 14, 15, 16
Introduction d’un concept opératoire
Alibi du nombre
Problématique 10 :
L’homme est-il fait pour vivre en société ?
(texte p. 92)
Même si cette idée est courante, il s’agit de l’expliciter et de l’argumenter, ne serait-ce que pour clarifier ce qu’« on sait depuis toujours ».
H
ÉLOÏSE
– Quel est le rapport avec ce que nous venons de discuter ?
V
ICTOR
– Il me semble que c’est clair.
H
ÉLOÏSE
– Pour toi peut-être, mais nous sommes deux…
Peux-tu me l’expliquer ?
V
ICTOR
– La société nous impose une manière de faire, une manière de penser, et on n’a plus tellement le droit de ne pas être d’accord ; on n’a plus tellement le choix.
Surtout nous, les jeunes, parce que ce n’est pas nous qui l’avons faite cette société. C’est ça, la tradition : des idées toutes faites qui se transmettent de génération en génération. ➝
C
ITATIONS
9
ET
10
Le concept de « tradition » nous montre comment la société nous empêche d’être libre, en « imposant manières de faire et manières de penser ».
H
ÉLOÏSE
– Je comprends mieux ton idée, mais je ne vois toujours pas le rapport avec le problème précédent.
V
ICTOR
– Je ne suis pas sûr non plus de me souvenir du problème précédent.
H
ÉLOÏSE
– Sur quels principes généraux s’opposent ton père et ta mère ?
V
ICTOR
– Ils s’opposent sur des tas de choses ! Ils sont en désaccord sur presque tout ! C’est le moins qu’on puisse dire !
En prétextant la quantité infinie de points de divergence, nous ignorons tout de la nature des différences. Il serait utile de sélectionner au moins un, voire deux ou trois points, que l’on pourrait analyser.
H
ÉLOÏSE
– Mais plus spécifiquement sur le problème d’aujourd’hui, sur leurs visions de la société ?
V
ICTOR
– D’une certaine manière, ils ne se contredisent pas. Ils pensent tous les deux que les humains vont naturellement les uns vers les autres, mais ma mère pense que c’est pour s’aider mutuellement, tandis que mon père
13
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Problématiques 1,
2, 4, 8, 12
Problématique accomplie
Problématique 17 :
Le conflit met-il en danger la société ?
(texte p. 100)
Problématiques 10,
11, 14, 15, 16
Achèvement d’une idée
Perte de l’unité
pense que c’est pour profiter les uns des autres. Mais tous deux disent dans le fond qu’on a besoin les uns des autres, pour faire des choses ensemble. ➝
C
ITATIONS
11
ET
12
Une problématique est proposée sur le « besoin des autres », concept sur lequel on peut opposer deux motivations : « aider » et
« profiter ».
H
ÉLOÏSE
– Et ton histoire de liberté dans tout cela ?
V
ICTOR
– C’est vrai qu’on a besoin de la société pour des raisons pratiques, mais notre liberté individuelle en prend un coup. Dès qu’on fréquente un groupe de personnes, on est obligé de composer avec tous ces gens. Je le vois bien, même en famille, ou à l’école.
H
ÉLOÏSE
– Peux-tu préciser ta pensée ?
V
ICTOR
– Premièrement, les gens sont tous différents.
H
ÉLOÏSE
– Et alors ?
V
ICTOR
– Et alors, tu sais bien que si les gens sont différents, ils ne sont pas d’accord entre eux, ils se disputent, ils se battent. Et comme on n’aime pas trop se disputer tout le temps, alors on finit par faire comme tout le monde pour se faire accepter. C’est pour ça que j’affirme que dans toute société on perd sa liberté : on ne peut plus
être soi-même, à cause des conflits, ou alors la société
éclate : c'est l'origine de la guerre. ➝
C
ITATIONS
13
ET
14
La privation de liberté due à la société, évoquée plus tôt, empêche d’« être soi-même ». Le souci d’intégration et de paix explique l’aliénation de l’individu dans la société.
H
ÉLOÏSE
– C’est tout ?
V
ICTOR
– Comment, c’est tout ! Là, j’ai été assez clair, tu ne crois pas ?
H
ÉLOÏSE
– N’en manque-t-il pas un bout ?
V
ICTOR
– Quel bout ?
H
ÉLOÏSE
– Tout à l’heure, tu as dit « Premièrement », alors j’attendais la suite…
V
ICTOR
– J’ai dit « Premièrement », moi ?
H
ÉLOÏSE
– Il me semble.
V
ICTOR
– Peut-être. Je ne me souviens plus pourquoi !
Le plan général de l’argumentation est oublié.
14
D i a l o g u e 1 / C o m m u n a u t é e t s o c i é t é
Les échos des philosophes
➝
L
ES NUMÉROS DES CITATIONS RENVOIENT AU DIALOGUE
.
1-
« La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est la famille. » R
OUSSEAU
, Du contrat social, 1762.
2-
« […] L’homme n’a pas d’autres devoirs que les devoirs envers l’homme […]. » K
ANT
, Métaphysique des mœurs, 1785.
3-
« L’État, c’est la communauté du bien-vivre et pour les familles et pour les groupements de familles, en vue d’une vie parfaite et qui se suffise à elle-même. » A
RISTOTE
, La Politique,
IVe s. av. J.-C.
4-
« Aussi longtemps que la croyance à la “justice sociale” régira l’action politique, le processus doit se rapprocher de plus en plus d’un système totalitaire. » H
AYEK
, Le Mirage de la justice
sociale, 1976.
5-
« Si c’est pour le commerce, l’intérêt propre est le fondement de cette société ; et ce n’est pas pour le plaisir de la compagnie, qu’on s’assemble, mais pour l’avancement de ses affaires particulières. » H
OBBES
, Le Citoyen, 1642.
6-
« Le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres. »
S
CHOPENHAUER
, Parerga et Paralipomena, 1851.
7-
« Il est vrai que, hors de la société civile, chacun jouit d’une liberté très entière […]. » H
OBBES
, Du citoyen, 1642.
8-
« Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle […] ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile […]. »
R
OUSSEAU
, Du contrat social, 1762.
9-
« Qu’est-ce que la société, quelle que soit sa forme ? Le produit de l’action réciproque des hommes. Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle forme sociale ? Pas du tout. »
M
ARX
, Lettre à Annenkov, 1846.
10-
« Le lien de société est en partie de fait et non choisi, en partie imposé, en partie choisi ou confirmé par la volonté. Tous les paradoxes de la vie en société résultent de ce mélange. »
A
LAIN
, Définitions, 1953 (posthume).
11-
« Même quand ils n’ont pas besoin de l’aide les uns des autres, les hommes n’en désirent pas moins vivre en société, ce qui n’empêche pas que l’utilité commune ne contribue aussi à
15
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s les réunir, en proportion de la part de bonheur qui en rejaillit sur chaque individu. » A
RISTOTE
, La Politique,
IVe s. av. J.-C.
12-
« Mais il [l’homme] a aussi une forte tendance à se singula-
riser (s’isoler), car il rencontre en même temps en lui-même ce caractère insociable qu’il a de vouloir tout diriger seulement de son point de vue […]. » K
ANT
, Idée d’une histoire universelle au
point de vue cosmopolitique, 1784.
13-
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes. » M
ARX ET
E
NGELS
, Manifeste du
parti communiste, 1848.
14-
« Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine. » F
REUD
, Malaise dans la civilisation, 1929.
E n r é s u m é . . .
Il semble difficile pour l’homme de s’abstraire de la vie en communauté, qui le place dans des rapports constants avec les autres, qu’il s’agisse de l’existence familiale ou sociale. La vie familiale semble aller de soi, puisqu’elle est fondée sur des relations naturelles, biologiques, où chacun joue un rôle défini.
On s’interroge davantage sur les liens qui attachent l’homme à la société, sur le sens et la nature de son engagement dans la collectivité. Faut-il les comprendre sur le fond d’une sociabilité spontanée, voire de l’altruisme ? Ou ne s’agit-il pour nous que du jeu de l’intérêt bien compris ? Voire de la satisfaction
égoïste des besoins, qui engendrent le conflit ? Quoi qu’il en soit, la société semble peser sur l’individu, hypothéquant sa liberté et l’empêchant d’être ce que bon lui semble.
L e s n o t i o n s - o u t i l s
Bonheur : situation, événement ou état procurant le bien-être complet d’un individu ou d’une communauté.
16
D i a l o g u e 1 / C o m m u n a u t é e t s o c i é t é
Famille : unité sociale fondée sur la parenté, sur l’alliance, souvent considérée comme une entité naturelle et la cellule de base de la société.
Utilité : propriété définissant un objet capable de satisfaire un besoin ou permettant d’atteindre une fin désirée.
Majorité : moment de la vie d’un individu où celui-ci devient capable de mener une existence autonome. Âge légal d’accession aux droits liés à la citoyenneté.
Besoin : privation d’un objet, de ce qui manque à un être pour subsister, sur le plan biologique, psychologique ou social.
Liberté : faculté de l’être humain le rendant capable d’accomplir des choix de façon autonome, selon sa nature, sa volonté, sa raison ou ses désirs. Pouvoir de délibérer consciemment sur les motifs et les priorités des choix en question. Peut s’appliquer de façon restreinte à l’animal : liberté de mouvement, voire à un objet : chute libre, roue libre.
Isolement : état de ce qui se situe à l’écart de l’ensemble ou du collectif.
Solitude : état physique d’isolement ; impression ou sentiment d’isolement.
Discuter : examiner diverses propositions, à travers un dialogue faisant valoir des points de vue différenciés et argumentés sur un problème commun. Opération qui peut s’accomplir en collaboration avec un ou plusieurs interlocuteurs, ou même seul.
Disputer : processus qui ne consiste pas à effectuer une recherche en commun, il s’agit au contraire d’une concurrence ou d’une lutte théorique, où un point de vue doit l’emporter sur l’autre ou l’éliminer.
Contradiction : rapport entre des termes, mots, actions ou idées, tels que l’un étant posé, l’autre est nécessairement exclu.
Principe de contradiction, ou principe de non-contradiction : principe logique selon lequel il est impossible d’affirmer qu’un même terme, envisagé sous le même point de vue, soit à la fois lui-même (A) et son contraire (non-A).
Sociabilité : sentiment naturel ou non qui pousse un individu à s’assembler à d’autres ou capacité à vivre en société.
17
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
2
Règles et société
V
ICTOR
– Ça y est, je m’en souviens.
H
ÉLOÏSE
– De quoi ?
Problématique 12 :
La société représente-t-elle l’aliénation de l’individu ?
(texte p. 94)
Problématiques 11,
13, 15, 17
V
ICTOR
– Du premièrement, l’autre jour.
H
ÉLOÏSE
– Alors rappelle-moi le contexte, parce que moi, depuis le temps !
V
ICTOR
– J’expliquais pourquoi la société entrave notre liberté. Premièrement parce que tous les hommes sont différents et qu’il nous faut composer avec chacun d’entre eux, sans quoi la société ne survit pas.
➝
C
ITATIONS
1
ET
2
H
ÉLOÏSE
– D’accord, et le deuxièmement ?
V
ICTOR
– Les règles !
Concept indifférencié
Il ne suffit pas de prononcer un mot pour que cela constitue une idée. Il faut aussi en préciser le sens et en spécifier l’utilisation.
Problématique 15 :
Toute société engendre-t-elle le conformisme ?
(texte p. 97)
Problématiques 11,
12, 14, 16
Introduction d’un concept opératoire
H
ÉLOÏSE
– Tu ne peux pas me faire une petite phrase avec ce mot ? Tu sais comme j’aime les verbes…
V
ICTOR
– La société nous impose toujours des règles.
Elle nous impose des manières d’agir : des obligations, des interdits, comme si nous n’étions pas capables de nous diriger nous-mêmes. Dans le fond, elle nous infantilise.
➝
C
ITATIONS
3
ET
4
Le concept de « règles », source « d’obligations et d’interdits », nous offre une seconde piste montrant comment la société entrave notre liberté et nous aliène en nous « infantilisant ».
Opinion reçue
H
ÉLOÏSE
– D’où tiens-tu cette idée ?
V
ICTOR
– Tu as déjà vu une société sans règles, toi ?
H
ÉLOÏSE
– Quelle explication peux-tu fournir pour rendre compte de ce phénomène ?
V
ICTOR
– C’est ainsi, et l’histoire nous montre que ça a toujours été ainsi.
L’« histoire » en soi ne montre rien du tout, à moins d’expliquer comment elle le montre.
H
ÉLOÏSE
– Quelle histoire !
18
D i a l o g u e 2 / R è g l e s e t s o c i é t é
Certitude dogmatique
Glissement de sens
Problématique 14 :
La société a-t-elle nécessairement raison contre l’individu ?
(texte p. 96)
V
ICTOR
– Bravo la blague ! Mais tu peux plaisanter, il n’empêche que c’est vrai. C’est incontestable. Les sociétés ont toujours des règles. D’ailleurs, je te défie de me trouver un seul exemple qui prouve que ce n’est pas vrai !
Ce n’est pas en insistant sur l’affirmation d’une thèse que l’on en justifie le contenu.
H
ÉLOÏSE
– Je ne m’y risquerai pas. Dis-moi plutôt comment tu expliques ce phénomène.
V
ICTOR
– Pourquoi ne peux-tu pas accepter les choses, tout simplement ? Tu as deux bras, deux jambes et une tête : c’est ainsi. Pourquoi faudrait-il trouver une raison à tout ? Je crois que ce n’est pas toujours possible de donner une raison. C’est même plutôt prétentieux de vouloir tout expliquer.
H
ÉLOÏSE
– Peut-on au moins vérifier si c’est possible ?
V
ICTOR
– On peut toujours. Je n’ai rien à perdre, tu sais.
H
ÉLOÏSE
– Très bien, allons-y ! Quelle est la proposition qu’il s’agit de prouver ? Ou plutôt de tenter de prouver. Je ne voudrais pas avoir l’air présomptueuse à tes yeux…
V
ICTOR
– Je dois prouver pourquoi les règles sont toujours utiles.
Passer de la proposition « les sociétés ont toujours des règles » à la proposition « les règles sont toujours utiles », enchaînement tout à fait plausible, ne peut toutefois s’effectuer sans rendre compte de cet enchaînement.
H
É L O Ï S E
– Est-ce de « toujours utiles » qu’il est question ?
V
ICTOR
– Oui, en gros.
H
ÉLOÏSE
– Te rappelles-tu ta formulation initiale ?
V
ICTOR
– Pas trop.
H
ÉLOÏSE
– Ton deuxièmement ?
V
ICTOR
– Là, tu chipotes, vraiment ! J’ai dit : « les sociétés ont toujours des règles ».
H
ÉLOÏSE
– Est-ce la même chose que de dire qu’elles sont toujours utiles ?
V
ICTOR
– S’il y a toujours des règles, c’est bien qu’elles sont utiles, non ! Parce que les hommes ne peuvent pas s’en passer pour vivre en société ! Sinon, ils se querelleraient en permanence. Ça montre bien que les règles
19
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Problématiques 2,
11, 12, 13, 15
Achèvement d’une idée
Emportement
émotionnel
Problématique 4 :
Une société doit-elle exclure pour exister ?
(texte p. 85)
Problématiques 5,
11, 12, 13, 16
Exemple inexpliqué
Illusion de synthèse
sont utiles, et que chacun doit les respecter, même si elles lui déplaisent. ➝
C
ITATIONS
5
ET
6
L’utilité des règles, qui « empêchent de se quereller en permanence », explique pourquoi « les sociétés ont toujours des règles » devant être respectées.
H
ÉLOÏSE
– Veux-tu vérifier si ton idée tient la route ?
V
ICTOR
– Comment ça, « tient la route » ?
H
ÉLOÏSE
– Veux-tu vérifier la validité de ton hypothèse ?
V
ICTOR
– Oui, mais comment ?
H
ÉLOÏSE
– Penses-tu qu’elle soit toujours vraie ?
V
ICTOR
– Oui, évidemment, puisque je le dis !
H
ÉLOÏSE
– Mais la crois-tu toujours vraie ?
V
ICTOR
– Non. Ce n’est pas parce qu’une chose est vraie qu’elle est toujours vraie. Il y a des exceptions.
La possibilité des « exceptions » n’est pas pensée jusqu’au bout : il s’agirait d’examiner leurs conséquences sur la proposition « les règles sont toujours utiles ».
H
ÉLOÏSE
– Je t’écoute !
V
ICTOR
– Tu veux une exception ?
H
ÉLOÏSE
– Pourquoi pas, si tu la juges opportune !
V
ICTOR
– Tu es vraiment encourageante…
H
ÉLOÏSE
– Bah ! Tu me connais, depuis le temps…
V
ICTOR
– Bon, en voilà une. Il existe des sociétés où on interdit aux femmes de participer aux affaires publiques. Il y a aussi l’exemple des esclaves, bref de toutes les autres catégories d’individus considérées comme inférieures.
➝
C
ITATIONS
7
ET
8
La finalité de cet exemple n’est pas énoncée : à quoi doit-il servir et comment le fait-il ?
H
ÉLOÏSE
– Que conclus-tu de cet exemple ?
V
ICTOR
– Que certaines règles sont mauvaises.
H
ÉLOÏSE
– Or, que voulais-tu prouver ?
V
ICTOR
– Que les règles ne sont pas toujours utiles.
Le fait d’établir que « certaines règles sont mauvaises » ne prouve pas en soi que « les règles ne sont pas toujours utiles » : il s’agirait aussi de montrer le lien entre ces deux propositions. Déjà parce que « inutile » et « mauvais » ne coïncident pas nécessairement. Il
20
D i a l o g u e 2 / R è g l e s e t s o c i é t é
Problématique 5 :
L’égalité est-elle possible en société ?
(texte p. 86)
Problématiques 2,
11, 12, 13, 14
Achèvement d’une idée
Problématique 4 :
Une société doit-elle exclure pour exister ?
(texte p. 85)
peut être utile d’interdire quelque chose, mais mauvais car contraire à la morale de l’autonomie individuelle.
H
ÉLOÏSE
– Une mauvaise règle peut-elle être utile ?
V
ICTOR
– Non, puisqu’elle est mauvaise !
H
ÉLOÏSE
– Alors pourquoi existe-t-elle ?
V
ICTOR
– J’imagine qu’elle arrange bien certains. Dans mon exemple, ce sont les hommes qui en profitent, et non les femmes.
H
ÉLOÏSE
– S’ils en profitent, leur est-elle utile ?
V
ICTOR
– Mais ça n’a rien à voir !
H
ÉLOÏSE
– Comment cela ?
V
ICTOR
– C’est peut-être utile à certains, mais pas à tout le monde.
H
ÉLOÏSE
– Continue !
V
ICTOR
– Je crois voir où tu m’as amené avec tes questions. Toute règle est utile, sinon elle ne serait pas en vigueur, mais il reste à savoir si elle est utile à tous ou uniquement à une minorité. C’est là que se situe l’opposition. De toute façon, une société est toujours dominée par un groupe ou un autre, souvent une minorité qui dirige la majorité ; on ne peut pas y échapper.
➝
C
ITATIONS
9
ET
10
L’idée d’« utilité » est explicitée au travers du destinataire : « utile
à… ». En effet, ce qui est utile à certains peut ne pas l’être à tous.
H
ÉLOÏSE
– Et ton idée de « règle mauvaise » ?
V
ICTOR
– C’est vrai qu’il n’y a pas de rapport entre utile et bon ou mauvais.
H
ÉLOÏSE
– En es-tu sûr ?
V
ICTOR
– Pas vraiment.
H
ÉLOÏSE
– Alors ?
V
ICTOR
– J’ai une proposition. En réalité, une règle mauvaise n’est jamais complètement mauvaise. C’est mauvais pour certains mais par pour tous, là encore.
Mais si on dit que c’est mauvais, que c’est mal, on suppose que ça l’est en général.
H
ÉLOÏSE
– En conséquence ?
V
ICTOR
– Je peux dire que certaines règles qui sont utiles uniquement à certains, ou à une minorité, sont mauvaises, mais que ce qui est utile pour la grande majorité, ou pour
21
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Problématiques 1,
2, 5, 13, 17
Problématique accomplie
Position critique
Problématique 11 :
La liberté individuelle est-elle compatible avec la vie en société ?
(texte p. 93)
Problématiques 10,
12, 13, 15, 17
tous, est moral : c’est le bien-être général que doit rechercher toute société. Ça te plaît ? ➝
C
ITATIONS
11
ET
12
Le rapport entre « utilité » et « bien » ou « mauvais » est articulé, en se fondant sur l’opposition entre « minorité » et « majorité ».
H
ÉLOÏSE
– Moi, tu sais, tant que je comprends et que j’entends une explication…
V
ICTOR
– Je sais, je sais !
H
ÉLOÏSE
– Revenons aux règles en général.
V
ICTOR
– Oui ?
H
ÉLOÏSE
– N’avons-nous pas parcouru un certain chemin depuis ton idée initiale ?
V
ICTOR
– Je crois que je me suis encore fait piéger.
H
ÉLOÏSE
– Comment cela ?
V
ICTOR
– Je suis parti de l’idée que les règles étaient toujours mauvaises, et maintenant je me contredis, en disant qu’elles sont toujours bonnes, au moins pour quelqu’un.
Une objection a été avancée, qui s’oppose à la thèse initiale, en relativisant le principe de « bon » ou « mauvais ».
H
ÉLOÏSE
– Quel était ton argument pour prouver que les règles sont toujours mauvaises ?
V
ICTOR
– Ça, je m’en souviens très bien, et je tiens à cette idée. J’ai dit que les règles entravent toujours notre liberté. ➝
C
ITATIONS
13
ET
14
H
ÉLOÏSE
– Ce qui est toujours mauvais, bien sûr !
V
ICTOR
– Non, puisque j’ai déjà expliqué que ce qui est mauvais pour les uns peut être bon pour les autres, puisque ça les arrange.
H
ÉLOÏSE
– On ne peut donc jamais dire qu’une règle est mauvaise ?
V
ICTOR
– L’idéal serait que la société puisse se passer de règles.
H
ÉLOÏSE
– Cet idéal est-il réalisable ?
V
ICTOR
– Il faudrait une société parfaite.
H
ÉLOÏSE
– Conclusion ?
V
ICTOR
– D’accord, une société a toujours besoin de règles.
H
ÉLOÏSE
– Toujours, vraiment, sans exception ?
22
D i a l o g u e 2 / R è g l e s e t s o c i é t é
Problématique 12 :
La société représente-t-elle l’aliénation de l’individu ?
(texte p. 94)
Problématiques 10,
13, 14, 15, 16
Penser l’impensable
V
ICTOR
– Oui, là, je crois que je peux dire sans exception, car la société parfaite ne peut pas exister : il faudrait des hommes parfaits.
H
ÉLOÏSE
– Alors, et la liberté dans tout ça ?
V
ICTOR
– Bizarrement, j’en arrive à la conclusion qu’il est utile et même bien de priver les hommes de leur liberté pour qu’ils vivent en société. L’homme est un animal un peu sauvage, souvent dangereux. Il a besoin d’être domestiqué, comme d’autres animaux.
➝
C
ITATIONS
15
ET
16
Après avoir soutenu l’idée que « la privation de liberté et les règles sont mauvaises », l’enchaînement du raisonnement nous oblige à produire l’idée contraire.
H
ÉLOÏSE
– Cela ne te plaît pas comme perspective ?
V
ICTOR
– Certainement pas. Mais j’ajouterais que, sans doute, toute la différence est de savoir dans quelle proportion on entrave leur liberté individuelle.
H
ÉLOÏSE
– Qui est ce « on », qui entrave la liberté ?
V
ICTOR
– Je n’en sais rien, ou c’est assez complexe, et tu m’as épuisé, alors je te répondrai une autre fois.
Les échos des philosophes
➝
L
ES NUMÈROS DES CITATIONS RENVOIENT AU DIALOGUE
.
1-
« […] Comme elle [la liberté] donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi laisse-t-elle aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu’il leur plaît. » H
OBBES
, Du
citoyen, 1642.
2-
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits ; ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, 1791.
3-
« De chacun de ses membres, elle [la société] exige […] un certain comportement, imposant d’innombrables règles […]. »
A
RENDT
, La Condition de l’homme moderne, 1958.
23
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
4-
« Ce que l’on attend de Dieu, on ne l’obtient jamais que de la société qui seule a le pouvoir de consacrer, d’arracher à la facticité, à la contingence, à l’absurdité. » B
OURDIEU
, Leçon inaugu-
rale, 1982.
5-
« La loi est toujours quelque chose de général, et il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un
énoncé général qui s’y applique avec rectitude. » A
RISTOTE
,
Éthique à Nicomaque,
IVe s. av. J.-C.
6-
« L’infraction oppose en effet un individu au corps social tout entier ; contre lui, pour le punir, la société a le droit de se dresser tout entière. » F
OUCAULT
, Surveiller et Punir, 1975.
7-
« C’est d’une manière différente que l’homme libre commande
à l’esclave, l’homme à la femme, l’homme adulte à l’enfant. »
A
RISTOTE
, La Politique,
IVe s. av. J.-C.
8-
« […] Il n’est aucun emploi concernant l’administration de la cité qui appartienne à la femme en tant que femme, ou à l’homme en tant qu’homme ; au contraire, les aptitudes naturelles sont également réparties entre les deux sexes […]. »
P
LATON
, La République V,
IVe s. av. J.-C.
9-
« Qu’est-ce que la société ? La société est une forme de vie communautaire qui permet à la classe supérieure de maintenir la classe inférieure sous sa domination. » S
TRINDBERG
, Petit
Catéchisme à l’usage de la classe inférieure, 1886.
10-
« Toutes les valeurs sociales – […] ainsi que le respect de soi-même – doivent être réparties également. » R
AWLS
, Théorie
de la justice, 1971.
11-
« La morale, soit privée, soit publique, sera nécessairement flottante et sans force, tant qu’on placera comme point de départ, pour chaque individu ou chaque classe, la considération exclusive de l’utilité particulière. » C
OMTE
, Considérations sur le
pouvoir spirituel, 1825.
12-
« Jamais une loi ne sera capable d’embrasser avec certitude ce qui, pour tous à la fois, est le meilleur et le plus juste et de prescrire à tous ce qui vaut le mieux. » P
LATON
, Le Politique,
IVe s. av. J.-C.
13-
« […] L’homme libre, c’est celui à qui tout advient selon sa volonté, celui à qui personne ne peut faire obstacle. » É
PICTÈTE
,
Entretiens, vers 130 apr. J.-C.
24
D i a l o g u e 2 / R è g l e s e t s o c i é t é
14-
« La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » M
ONTESQUIEU
, De l’esprit des lois, 1748.
15-
« Il est vrai que dans les démocraties le peuple paraît faire ce qu’il veut ; mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. » M
ONTESQUIEU
, De l’esprit des lois, 1748.
16-
« La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. » R
OUSSEAU
, Lettres écrites de la
montagne, 1764.
E n r é s u m é . . .
Une vie en société ne peut sans doute pas se concevoir sans règles ni lois, qui entravent les libertés individuelles. Celles-ci paraissent légitimées par l’utilité publique, l’intérêt commun du groupe, afin de prévenir et régler les discordes engendrées par la diversité. Au point que ce qui est bien ou mal, dans une société, paraît souvent se limiter à cette utilité. Disposonsnous d’une autre norme du bien et du mal, de l’utile et du nuisible, que ce qui est permis ou défendu selon qu’il favorise, ou au contraire met en danger, la cohésion sociale ?
On peut toutefois se demander si les règles sociales expriment une sorte d’idéal, ou si elles ne sont au contraire qu’un pisaller : au risque de l’arbitraire et de l’injustice, des modes de fonctionnement seraient imposés pour pallier les imperfections de l’être humain.
L e s n o t i o n s - o u t i l s
Mal : ce qui suscite un jugement de réprobation, en ce qu’il est contraire à l’intégrité personnelle physique (douleur) ou morale (faute, péché). Situation de contradiction entre ce qui est et ce qui devrait être.
25
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Différence : caractéristique spécifique qui permet de distinguer deux éléments ayant en commun d’autres caractéristiques.
Règle : énoncé à vocation prescriptive, déterminant les exigences auxquelles on doit se conformer dans une opération, qu’elle soit technique, pratique ou intellectuelle.
Obligation : engagement moral ou juridique qui lie un individu ou un groupe, ou le fait même d’être tenu par un tel lien.
Preuve : information ou raisonnement destinés à justifier une proposition.
Argument : élément de raisonnement ayant pour finalité la mise en évidence de la vérité ou de la fausseté d’une proposition.
Hypothèse : idée ou énoncé admis à titre provisoire, pour servir de point de départ à des réflexions ou à des raisonnements ultérieurs.
Universel : qui se rapporte sans exception à tous les éléments d’un ensemble donné. Exemples : attraction universelle (tous les corps pesants), suffrage universel (tous les citoyens).
Peut désigner également un attribut commun à un ensemble donné, pris comme réalité en soi.
Général : qualifie un caractère ou une propriété convenant globalement à un ensemble d’objets donnés, ou du moins à la plus grande partie de cet ensemble. Exemple : bien, beau.
Vérité que la raison impose à tout esprit. Exemple : 2 + 2 = 4.
Particulier : qualifie un caractère ou une propriété convenant à un être individuel, à un élément unique, à quelques éléments spécifiques ou à une partie réduite d’un ensemble plus étendu.
Relatif : statut d’une chose ou d’une idée qui ne peut exister ou être pensée, qu’à condition d’être mise en rapport, reliée à autre chose que soi. La chose ou l’idée en question n’a en ellemême ni existence, ni valeur absolue ; elle dépend d’autres facteurs que les siens propres.
Relativisme : principe posant que toutes choses sont essentiellement variables, selon de nombreux facteurs, de sorte qu’aucun
énoncé valable dans l’absolu n’est possible.
26
3
Société et conformisme
V
ICTOR
– J’ai réfléchi à ta question de l’autre jour.
H
ÉLOÏSE
– Laquelle ?
V
ICTOR
– À propos du « on », celui qui impose les règles.
H
ÉLOÏSE
– Oui, eh bien ?
V
ICTOR
– C’est la société qui impose les règles.
H
ÉLOÏSE
– Mais qui est-ce, la société ?
V
ICTOR
– C’est une question ridicule.
H
ÉLOÏSE
– Pourquoi cela ?
V
ICTOR
– La société, c’est la société.
Fausse
évidence
Le terme de « société » n’a pas à être considéré comme clair et évident. Il peut par exemple renvoyer à une totalité d’individus, ou bien aux règles, traditions et pratiques qui régissent les rapports entre individus.
Problématique 8 :
Une société a-t-elle nécessairement une finalité ?
(texte p. 90)
Problématiques 1, 2
Exemple inexpliqué
H
ÉLOÏSE
– Ça te suffit comme définition ?
V
ICTOR
– Que veux-tu d’autre ?
H
ÉLOÏSE
– Tu crois que dans un dictionnaire, c’est ce qu’on inscrirait comme définition ?
V
ICTOR
– Non, sans doute pas. Alors la société, c’est l’ensemble des gens qui vivent ensemble. C’est tout.
➝
C
ITATIONS
1
ET
2
H
ÉLOÏSE
– Si c’est le cas, comment un ensemble de gens peut-il imposer quoi que ce soit ?
V
ICTOR
– Je ne sais pas. Par la pression sociale.
H
ÉLOÏSE
– Qu’entends-tu par là ?
V
ICTOR
– On le voit tous les jours : à l’école, à la maison, dans la rue.
On ne sait pas ce que l’on « voit tous les jours » : le concept de pression sociale n’est nullement éclairci.
H
ÉLOÏSE
– Que vois-tu donc dans tous ces endroits ?
V
ICTOR
– On nous oblige à faire comme tout le monde.
H
ÉLOÏSE
– Peux-tu donner un exemple plus précis ?
V
ICTOR
– Oui : si tu veux te promener dans la rue tout nu.
27
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Problématique 16 :
La société amélioret-elle l’être humain ?
(texte p. 99)
Problématiques 4,
11, 12, 14, 15
Fausse
évidence
Idée réductrice
H
ÉLOÏSE
– Je ne saisis pas.
V
ICTOR
– Tu le fais exprès ? À ton avis, que va-t-il se passer ?
H
ÉLOÏSE
– Comment sais-tu ce qui va se passer ? Tu as déjà essayé ?
V
ICTOR
– Tu es de mauvaise foi ! Il n’y a pas besoin d’essayer. Tu sais très bien que tout le monde va te regarder de travers. La société rend les gens tellement rigides, ils ne réfléchissent même plus. ➝
C
ITATIONS
3
ET
4
H
ÉLOÏSE
– Qu’est-ce que tu en déduis ?
V
ICTOR
– Comment ça ?
H
ÉLOÏSE
– En quoi cela t’empêche-t-il d’agir comme tu l’entends ?
V
ICTOR
– On n’est pas libre. Déjà, parce que c’est très désagréable de se faire regarder ainsi.
L’argument du « désagréable » n’est pas en soi suffisant pour justifier la perte de liberté, à moins de montrer la proximité des deux idées.
H
ÉLOÏSE
– Est-ce un argument en soi, ce « désagréable » ?
V
ICTOR
– On n’aime pas ce qui est désagréable.
H
ÉLOÏSE
– Fais-tu uniquement ce qui est agréable ?
V
ICTOR
– Dans un sens, non. Mais il faut encore avoir une bonne raison de faire les choses.
H
ÉLOÏSE
– Et courir tout nu dans la rue ?
V
ICTOR
– Ça n’a pas de sens, surtout l’hiver ! Ça serait carrément absurde.
H
ÉLOÏSE
– Donc tu déclares que ce n’est pas quelque chose à faire ?
V
ICTOR
– En quelque sorte.
H
ÉLOÏSE
– Ne ressembles-tu pas aux gens que tu critiques, ceux qui font comme tout le monde ?
V
ICTOR
– Ce n’est pas pareil, j’ai donné de bonnes raisons : ce n’est pas par conformisme.
La thèse du conformisme de la société n’est pas suffisamment examinée : elle n’est pas problématisée. Elle néglige par exemple d’examiner comment le conformisme peut se donner de « bonnes raisons » d’agir.
H
ÉLOÏSE
– Crois-tu qu’être « conformiste » s’oppose nécessairement à « donner de bonnes raisons » ?
28
D i a l o g u e 3 / S o c i é t é e t c o n f o r m i s m e
Emportement
émotionnel
Indétermination du relatif
Problématique 15 :
Toute société engendre-t-elle le conformisme ?
(texte p. 97)
Problématiques 1,
10, 11, 12, 14
Position critique
V
ICTOR
– Quand même oui !
H
ÉLOÏSE
– À quoi opposerais-tu le principe de faire des choses « pour de bonnes raisons » ?
V
ICTOR
– À faire n’importe quoi, à faire les choses sans raison.
H
ÉLOÏSE
– Penses-tu que « faire les choses sans raison » puisse présenter un quelconque intérêt ?
V
ICTOR
– Parfois, oui. Mais pas dans ce cas-là !
Puisqu’il est possible de trouver un « intérêt » à « faire les choses sans raison », il s’agirait d’examiner un instant les conséquences de cette exception pour le cas présent, avant de trancher.
H
ÉLOÏSE
– Allons-y tranquillement, tu veux bien ?
V
ICTOR
– Je sais, je sais. « Je connais ton refrain », comme me dit toujours mon père.
H
ÉLOÏSE
– Alors, « faire les choses sans raison » peut-il de manière générale présenter un quelconque intérêt ?
V
ICTOR
– Parfois oui ; je te l’ai déjà dit !
Nous savons que « faire les choses sans raison » peut « parfois » avoir un intérêt et « parfois » ne pas en avoir, mais nous ne savons ni pourquoi, ni comment. Nous ne pouvons donc pas discriminer entre ces deux situations.
H
ÉLOÏSE
– Puis-je en savoir davantage ?
V
ICTOR
– Il faut savoir aussi écouter ses sentiments et puis…
H
ÉLOÏSE
– Et puis…
V
ICTOR
– Je viens de comprendre pourquoi tu m’as demandé d’approfondir cette idée.
H
ÉLOÏSE
– Ah bon !
V
ICTOR
– Oui. Souvent, lorsque tes parents ou d’autres personnes te demandent de réfléchir, ou d’être raisonnable, c’est pour te faire obéir, pour que tu agisses comme tout le monde. La raison, c’est la société, la famille ou le groupe qui nous l’impose : il faut être sage, gentil, ne pas faire de vagues, et réprimer ce que nous sommes vraiment pour faire plaisir aux autres.
➝
C
ITATIONS
5
ET
6
Après avoir soutenu l’idée que s’opposent « conformisme » et « raison », un argument contraire est proposé, qui montre leur collusion.
H
ÉLOÏSE
– Et courir tout nu dans la rue ?
29
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Suspension du jugement
Problématique 9 :
Le droit de propriété est-il une entrave
à la vie en société ?
(texte p. 91)
Problématiques 1,
12, 15
V
ICTOR
– Pourquoi pas si ça te fait plaisir ? On y viendra peut-être. Après tout, les femmes peuvent maintenant enlever le haut de leur maillot sur la plage, alors qu’avant c’était considéré comme une aberration, quelque chose de fou… Mais les gens sont comme ça : ils changent d’avis tout le temps ; c’est la mode.
H
ÉLOÏSE
– Et toi ?
V
ICTOR
– C’est vrai qu’on a beau essayer d’être libre, on ne peut pas éviter de faire comme tout le monde. À raison peut-être. J’imagine que le tout est d’en être conscient.
Après avoir fortement condamné le conformisme, on se demande un instant s’il est « évitable », s’il a ses « raisons », s’il ne faut pas surtout en « être conscient ».
H
ÉLOÏSE
– Que veux-tu dire ?
V
ICTOR
– Oui, on est toujours prisonnier de quelque chose : de notre éducation, de la famille, de notre naissance, car on n’est jamais seul. Il ne faut pas se leurrer, même si nos illusions nous font plaisir. Le fait de posséder quelque chose nous conditionne aussi : nous nous méfions en permanence des voisins, nous nous disputons. En ce sens, la société n’est pas plus contraignante qu’autre chose ! ➝
C
ITATIONS
7
ET
8
H
ÉLOÏSE
– Tu m’impressionnes !
V
ICTOR
– Moque-toi si tu veux, mais ça, je l’ai toujours su. En plus, je m’en suis vraiment aperçu il y a quelques années, la première fois que j’ai été à l’étranger.
H
ÉLOÏSE
– Tu ne m’en avais jamais parlé.
V
ICTOR
– Si, j’avais été en Italie et en Allemagne avec mes parents.
H
ÉLOÏSE
– Ah oui, je m’en souviens. Alors ?
V
ICTOR
– Un jour, on était au restaurant à Rome, je m’amusais avec mon frère, et comme d’habitude ma mère nous a dit de nous tenir tranquilles et de ne pas nous faire remarquer. Un peu plus tard est entrée une famille italienne, et alors là, quel cirque ! Au bout d’un quart d’heure, ils ont fait rire tout le monde dans le restaurant, il y avait un chahut incroyable ; ma mère aussi riait comme une bossue. Je lui ai lancé : « Pourquoi tu ne leur dis pas de ne pas se faire remarquer ? »
30
D i a l o g u e 3 / S o c i é t é e t c o n f o r m i s m e
Exemple inexpliqué
Opinion reçue
Perte de l’unité
Problématique 12 :
La société représente-t-elle l’aliénation de l’individu ?
(texte p. 94)
Problématiques 1,
13, 14, 15
Exemple analysé
Nous ignorons toujours ce qu’il faut conclure de cette histoire, et quel est son rapport avec le conformisme.
H
ÉLOÏSE
– C’est amusant ton histoire, mais que dois-je en penser ?
V
ICTOR
– « Charbonnier est maître dans sa maison. »
C’est un proverbe, non ? Ce doit être vrai.
Un proverbe, aussi joli ou inspiré soit-il, n’a pas à être pris comme argent comptant. Il s’agirait déjà de l’expliquer, puis d’en examiner de manière critique le contenu.
H
ÉLOÏSE
– C’est-à-dire ?
V
ICTOR
– En gros, c’est l’idée que chacun fait ce qu’il veut chez lui.
H
ÉLOÏSE
– C’est pour cela que tu m’as raconté cette histoire ?
V
ICTOR
– En fait je ne sais plus trop pourquoi je te l’ai racontée.
Les trois moments distincts : l’hypothèse initiale, l’exemple cité et l’analyse de l’exemple, doivent constituer une unité cohérente et claire de discours.
H
ÉLOÏSE
– Tu voulais me prouver quelque chose.
V
ICTOR
– Ah oui, c’est ça ! En fait, en voyageant à l’étranger, ou même en fréquentant d’autres personnes qui agissent différemment, on se rend compte qu’on est conditionné par ses proches, par son environnement, par la société où on vit. Ici, il ne faut pas se faire remarquer, là-bas, ce n’est pas interdit. Du coup, on n'ose plus prendre d'initiatives.
➝
C
ITATIONS
9
ET
10
L’exemple est enfin expliqué, on sait maintenant qu’il montre le conditionnement « lié à l’environnement social » : les « interdits » diffèrent.
H
ÉLOÏSE
– Qu’est-ce que tu en conclus ?
V
ICTOR
– Alors la société nous conditionne.
H
ÉLOÏSE
– Comment t’en es-tu rendu compte ?
V
ICTOR
– Grâce à d’autres personnes, de culture ou de milieu différents.
H
ÉLOÏSE
– Tiens donc !
V
ICTOR
– Tiens donc quoi ?
H
ÉLOÏSE
– Tu ne remarques rien ?
31
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Problématique 16 :
La société amélioret-elle l’être humain ?
(texte p. 99)
Problématiques 11,
12, 14
Illusion de synthèse
Problématique 14 :
La société a-t-elle nécessairement raison contre l’individu ?
(texte p. 96)
Problématiques 8,
11, 12, 16, 17
Problématique accomplie
V
ICTOR
– Non, quoi encore ? Tu m’épuises : avec toi je dois surveiller chacun de mes mots !
H
ÉLOÏSE
– Comment se nomme l’ensemble de tous ces gens dont tu parles ?
V
ICTOR
– Eh bien, c’est la société.
H
ÉLOÏSE
– Que nous permet-elle de faire ?
V
ICTOR
– De devenir conscients de nous-mêmes, de notre conditionnement social.
H
ÉLOÏSE
– N’avons-nous pas là comme une contradiction ?
V
ICTOR
– Je vois ce que tu veux dire, mais non. Il y a des fois où la société nous conditionne et d’autres fois où elle nous fait prendre conscience de nos limites. Les deux propositions sont aussi vraies l’une que l’autre.
➝
C
ITATIONS
11
ET
12
Le rôle paradoxal de la société quant à la « prise de conscience » est quelque peu ignoré, en ajoutant « des fois » à « d’autres fois », sans envisager les enjeux conflictuels de cette double proposition.
H
ÉLOÏSE
– Si je te pose la question : « La société en général nous conditionne-t-elle ou nous libère-t-elle du conditionnement ? », que réponds-tu ?
V
ICTOR
– Je réponds que paradoxalement, les deux propositions sont vraies.
H
ÉLOÏSE
– Comment expliques-tu cela ?
V
ICTOR
– Je ne sais pas. Je suis coincé, je l’admets.
H
ÉLOÏSE
– Qu’est-ce qui fait la différence entre ces deux possibilités ?
V
I C T O R
– Si j’en crois mon expérience, c’est la conscience qui permet de se libérer de l’emprise de la société. Or la conscience vient avec la vie en société, mais aussi avec la liberté de penser et de s’échapper de la société. Tout dépend donc du degré de liberté qui est accepté par cette société : sa capacité de tolérance, de respect des libertés individuelles. Si on ne peut ni en sortir, ni la critiquer, alors la société nous étouffe. La liberté de critiquer la société est sans doute l’idéal d’une société.
➝
C
ITATIONS
13
ET
14
La problématique sur le rôle double de la société, « conditionnement et libération », est articulée autour des notions de
« conscience » et de « capacité de tolérance », liées entre elles.
32
D i a l o g u e 3 / S o c i é t é e t c o n f o r m i s m e
Les échos des philosophes
➝
L
ES NUMÈROS DES CITATIONS RENVOIENT AU DIALOGUE
.
1-
« Une société est faite d’individus et de groupes qui communiquent entre eux. » L
ÉVI
-S
TRAUSS
, Anthropologie structurale, 1958.
2-
« […] C’est la nécessité de lutter contre l’ennemi commun, toujours subsistant, la nature, qui a rassemblé les hommes. »
D
IDEROT
, Observations sur l’Instruction de S.M.I aux députés pour
la confection des lois, 1774.
3-
« […] La société […] exige […], imposant d’innombrables règles qui, toutes, tendent à “normaliser” ses membres, à les faire marcher droit, à éliminer les gestes spontanés ou les exploits extraordinaires. » A
RENDT
, Condition de l’homme
moderne, 1958.
4-
« C’est la société, et elle seule, qui dispense, à des degrés différents, les justifications et les raisons d’exister. » B
OURDIEU
,
Leçon inaugurale, 1982.
5-
« […] L’homme sociable, toujours hors de lui, ne sait que vivre dans l’opinion des autres, et c’est pour ainsi dire de leur seul jugement qu’il tire le sentiment de sa propre existence. »
R
OUSSEAU
, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes, 1754.
6-
« Les hommes, en tant qu’ils vivent sous la conduite de la
Raison, sont ce qu’il y a de plus utile à l’homme. » S
PINOZA
,
Éthique, 1677 (posthume).
7-
« […] La plus grande et la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu’ils s’unissent en communauté […], c’est de conserver leurs propriétés […]. » L
OCKE
, Deuxième Traité du gou-
vernement civil, 1698.
8-
« Dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre, dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire. […] Tous coururent au-devant de leurs fers, croyant assurer leur liberté. » R
OUSSEAU
, Discours
sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1754.
9-
« […] La société à tous les niveaux exclut la possibilité de l’action […]. » A
RENDT
, Condition de l’homme moderne, 1958.
10-
« […] Tout développement normal de la société donne à chaque individu un intérêt personnel plus grand à tenir compte
33
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s pratiquement du bien-être des autres […], à le prendre de plus en plus en considération dans la pratique. » M
ILL
, L’Utilitarisme, 1861.
11-
« Dans l’âme collective, les aptitudes intellectuelles des hommes, et par conséquent leur individualité, s’effacent.
L’hétérogène se noie dans l’homogène, et les qualités inconscientes dominent. » L
E
B
ON
, Psychologie des foules, 1895.
12-
« La conscience est donc d’abord un produit social et demeure telle, aussi longtemps que des hommes existent. »
M
ARX ET
E
NGELS
, L’Idéologie allemande, 1846.
13-
« Le système social avait façonné [les] hommes […], et ils ne se révoltaient pas contre la réalité, parce qu’ils se confondaient avec elle. » J
AURÈS
, L’Armée nouvelle, 1910.
14-
« Il est bon qu’une société sauvegarde la possibilité pour chacun d’être un individu […]. Libre à ceux qui ne veulent pas lire de livres de regarder la télévision ; libre aux intellectuels d’en
écrire s’ils le veulent. » R
ORTY
, La Solution pragmatique, 1990.
E n r é s u m é . . .
Toute société semble produire un certain conformisme. Elle oblige les individus à se conformer à des comportements normaux, s’opposant à toute originalité, à toute créativité.
Or les hommes ont en commun d’être doués de raison, de partager une raison qui est théoriquement la même pour tous.
Faut-il en conclure que c’est en elle que l’uniformité trouve son fondement ? Que ses règles sont des principes raisonnables ? Ou alors les règles et coutumes sociales ne sont-elles que des conventions arbitraires, qui n’ont pour elles que l’argument de l’ancienneté, du poids des habitudes ? Comment une société peut-elle dès lors tolérer la critique et évoluer ?
L e s n o t i o n s - o u t i l s
Définition : opération consistant à déterminer, délimiter une notion, en faisant ressortir ses principaux caractères ou élé-
34
D i a l o g u e 3 / S o c i é t é e t c o n f o r m i s m e ments constitutifs. On distingue souvent la définition réelle, qui fait apparaître ce qu’est une chose, de la définition nominale, qui traduit un mot par le moyen de synonymes.
Conformisme : conduite individuelle ou collective consistant à régler automatiquement ses opinions ou ses comportements sur les exigences, les usages ou les habitudes du groupe social dans lequel on vit.
Illusion : apparence qui trompe par son aspect séduisant ou vraisemblable, et qui n’est pas dissipée par la découverte de son caractère erroné. Prendre une chose pour une autre ; croire savoir alors qu’on ne sait pas.
Réflexion : opération intellectuelle par laquelle la pensée, s’abstrayant de toute adhésion au concret, fait retour sur ellemême et sur ses actes.
Raison : faculté de connaître, d’analyser, de critiquer, de juger, de formuler des hypothèses, d’établir des relations et de former des concepts, propre à l’homme. S’oppose aux sens, à l’instinct, aux sentiments.
Norme de la pensée. Peut être érigée en absolu.
Cause ou explication.
Rationnel : qui provient de la raison seule, indépendamment ou concurremment aux données extérieures. Qui opère sous le contrôle ou la médiation de la raison. Synonyme : logique.
Raisonnable : qualifie une action conforme aux normes ou aux exigences du bon sens, ou sur laquelle peuvent s’accorder les hommes en tant qu’êtres doués d’une raison pratique.
Conditionnement : processus artificiel destiné à modifier le comportement d’un individu au moyen de réflexes acquis.
Contrainte exercée par la société, un individu ou un groupe d’individus sur un autre individu, ou sur soi-même.
Conscience : intuition immédiate que la pensée a d’elle-même ou d’un objet extérieur. Au sens moral, sentiment immédiat ou jugement réfléchi sur la valeur des actes humains.
Privé : qui appartient à la sphère du personnel, de l’intime, de la famille, par opposition à celle du public, de la société.
Privatiser : action de transmettre ou d’aliéner un bien ou une activité du secteur public vers le domaine privé, c’est-à-dire vers des individus ou une partie de la société.
35
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Société : groupement d’individus, dont les rapports sont déterminés de manière explicite ou tacite.
Milieu humain, en ses différentes caractéristiques et composantes, incluant ses structures et ses règles de fonctionnement.
Collectivité humaine, érigée en une réalité morale distincte, dépassant les individus qui la composent.
Ensemble des rapports entre les individus.
4
Loi et État
V
ICTOR
– Tu sais, j’ai repensé à mon histoire de sortir tout nu dans la rue.
H
ÉLOÏSE
– Bien, une nouvelle idée !
V
ICTOR
– Oui, et je peux même te dire qu’on a oublié une chose très importante, sur laquelle tu ne m’as posé aucune question.
H
ÉLOÏSE
– Tu vois l’avantage du dialogue pour la pensée : les idées poussent mieux à plusieurs têtes.
V
ICTOR
– Voilà la question que tu aurais dû me poser : est-ce uniquement la pression sociale qui nous impose un comportement donné ?
Suspension du jugement
La pensée revient sur elle-même, et on se demande si un autre cas de figure serait envisageable, comme raison d’être du conditionnement individuel.
Problématique 18 :
Peut-on concevoir une société sans
État ?
(texte p. 101)
Problématiques 11,
12, 15, 19
Alibi du nombre
H
ÉLOÏSE
– Ce n’est pas mal comme question. Elle permet d’envisager une autre hypothèse de travail.
V
ICTOR
– Si tu veux.
H
ÉLOÏSE
– J’imagine que tu as une piste à offrir.
V
ICTOR
– Oui, tu vas voir qu’elle est de taille. Tu auras honte de l’avoir oubliée.
H
ÉLOÏSE
– Je suis tout ouïe.
V
ICTOR
– La loi, qui nous oblige à faire ou à ne pas faire les choses ! Par exemple, on peut se faire arrêter si on se promène tout nu. Or, toute société a des lois qu’il est interdit de transgresser. ➝
C
ITATIONS
1
ET
2
H
ÉLOÏSE
– Mais tu avais déjà parlé des règles.
V
ICTOR
– Ce n’est pas pareil.
H
ÉLOÏSE
– Comment cela ?
V
ICTOR
– Quand même ! Les philosophes font toujours une distinction entre les règles et la loi.
L’entité vague « les philosophes » ne peut être invoquée pour soutenir une idée aussi ponctuelle que la distinction entre « règle » et
« loi ». Aucune multiplicité d’individus, quels qu’ils soient, ne saurait non plus servir d’appui incontestable à cette proposition.
37 36
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Achèvement d’une idée
Problématique 13 :
La société repose-t-elle sur des conventions arbitraires ?
(texte p. 95)
Problématiques 2,
8, 15, 17
Introduction d’un concept opératoire
Indétermination du relatif
H
ÉLOÏSE
– Je ne sais pas qui sont « les philosophes », mais je suis sûre que tu vas m’expliquer ton idée.
V
ICTOR
– Laisse tomber les philosophes ! La loi, c’est quelque chose d’écrit, qui a été discuté, ou qui a été voté, pas les règles.
Une distinction entre « règle » et « loi » est proposée : la seconde est
« écrite, discutée, ou votée », pas la première.
H
ÉLOÏSE
– D’où viennent ces règles ?
V
ICTOR
– Les règles sont là, mais on ne sait pas trop d’où elles sortent.
H
ÉLOÏSE
– Pourquoi les respecte-t-on ?
V
ICTOR
– Comme dit ma mère : c’est comme ça, un point c’est tout ! Ça ne se discute pas.
H
ÉLOÏSE
– D’où les tient-elle, ses règles ?
V
ICTOR
– Je n’en sais rien, moi. De sa grand-mère…
H
ÉLOÏSE
– Et toutes les grands-mères prônent les mêmes règles ?
V
ICTOR
– Visiblement, car en discutant avec mes copains, on retrouve toujours les mêmes, à quelque chose près. Tout ce qui est traditionnel.
H
ÉLOÏSE
– Traditionnel ?
V
ICTOR
– Oui, la tradition. Ce qui se fait depuis toujours, enfin à ce que disent les parents en tout cas. Les règles morales, par exemple, ou de politesse. Même mes copains qui viennent d’autres pays entendent un peu les mêmes. « Il faut écouter les adultes. » « Il ne faut pas faire aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. » « Il faut travailler pour réussir. » Toutes sortes d’idées de ce genre, qui ne se discutent pas. Il faut croire que c’est avec ces règles morales que s’organise la société, qu’elle s’harmonise pour mieux vivre.
➝
C
ITATIONS
3
ET
4
La « tradition » est présentée comme l’ensemble des règles morales et de politesse, établies au fil des siècles, considérées comme indiscutables et constituant la société.
H
ÉLOÏSE
– Et la loi alors, sur quoi porte-t-elle ?
V
ICTOR
– La loi, c’est autre chose, c’est différent.
« Être autre », « être différent » ne signifie rien. Il s’agirait de savoir en quoi consiste cette différence.
38
D i a l o g u e 4 / L o i e t É t a t
Précipitation
Problématique 20 :
L’État résulte-t-il d’un compromis social ?
(texte p. 104)
Problématiques 3,
21
Emportement
émotionnel
Certitude dogmatique
H
ÉLOÏSE
– Quelle est cette différence ?
V
ICTOR
– Déjà, comme je l’ai dit, c’est écrit. Ce ne sont pas uniquement des histoires de grands-mères.
H
ÉLOÏSE
– Qui écrit ces lois ?
V
ICTOR
– Le gouvernement, les députés, les dirigeants politiques quoi !
H
ÉLOÏSE
– Ça a un nom, tout cela ?
V
ICTOR
– Je n’en sais rien. La politique, ou l’État plutôt.
On ne voit pas ce qui distingue la « tradition » de la « loi », ni ce qui définit et spécifie « la politique » et « l’État ». En soi, ces termes ne nous indiquent rien.
H
ÉLOÏSE
– Quelle est la différence ?
V
ICTOR
– La politique, c’est une activité. L’État, c’est une structure, une institution.
H
ÉLOÏSE
– Bon, alors explique-moi ce que fait ton État.
V
ICTOR
– Il résulte d’élections et il décide des lois en suivant le vote de la majorité.
➝
C
ITATIONS
5
ET
6
H
ÉLOÏSE
– L’État résulte-t-il toujours d’élections ?
V
ICTOR
– Non, le roi n’était pas élu. Il tenait son pouvoir directement de Dieu !
H
ÉLOÏSE
– L’État suit-il toujours la majorité ?
V
ICTOR
– Oui, sinon ce n’est plus un État. C’est une dictature.
H
ÉLOÏSE
– Et une dictature n’est pas un État ?
V
ICTOR
– Si quand même ! Mais ce n’est pas la même chose, tu sais bien ce que je voulais dire.
Plutôt que de penser suffisamment la question, des réponses sont formulées de manière précipitée, laissant le traitement inachevé.
H
ÉLOÏSE
– Peut-être, mais en devinant, je peux me tromper, alors j’aime mieux que tu me l’expliques.
V
ICTOR
– Dans une dictature, il n’y a pas de lois, sinon ce ne serait pas une dictature.
L’idée que la « dictature » n’a rien à voir avec « l’État » ou avec les
« lois » est réitérée, sans qu’on cherche à vérifier la véracité de cette assertion.
H
ÉLOÏSE
– On ne peut pas avoir de dictatures avec des lois ?
39
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Problématique 21 :
L’État doit-il se soumettre au peuple ?
(texte p. 105)
Problématiques 3,
20, 22, 23, 24
Introduction d’un concept opératoire
Incertitude paralysante
Problématique 19 :
L’État est-il un mal nécessaire ?
(texte p. 103)
Problématiques 3,
20, 21, 24, 25
Position critique
V
ICTOR
– Ce que tu es agaçante ! Si, il peut y avoir des lois, mais il n’y a pas de discussions. C’est quelqu’un, ou un petit groupe, qui décide de tout, qui impose ses décisions à tout le monde. Il n’y a pas de place pour la liberté, puisque ce n’est pas la majorité qui décide : ce n’est pas un État démocratique.
➝
C
ITATIONS
7
ET
8
C’est le concept de « démocratie » qui s’oppose à celui de « dictature » et permet ici de le distinguer.
H
ÉLOÏSE
– Mais si la majorité doit décider de tout, pourquoi faudrait-il un État ?
V
ICTOR
– C’est bien ce que je me demande !
H
ÉLOÏSE
– Conclusion ?
V
ICTOR
– Je suis très partagé. Je n’en sais rien.
Il faudrait expliciter le problème que pose à « l’État » la « majorité » au lieu de se borner à exprimer un sentiment d’incertitude.
H
ÉLOÏSE
– Commence peut-être par expliquer en quoi consiste ton « partage »…
V
ICTOR
– Je crois que la liberté est un principe fondamental.
H
ÉLOÏSE
– Oui, et alors ?
V
ICTOR
– Contrairement à ce que j’ai dit, l’État, même s’il est démocratique et indispensable, ne respecte pas la liberté individuelle : il ne peut pas. C’est pour ça qu’il y a toujours des mécontents.
➝
C
ITATIONS
9
ET
10
Après avoir assimilé le concept d’« État » à ceux de « majorité » et de « liberté », on avance une idée contraire : « l’État ne peut pas respecter la liberté individuelle ».
H
ÉLOÏSE
– Pourquoi donc ?
V
ICTOR
– Parce qu’une fois qu’il a pris des décisions, il les impose à tout le monde.
H
ÉLOÏSE
– Tu souhaiterais qu’il fasse des exceptions ?
V
ICTOR
– Ne sois pas ridicule ! Non, il faut que ce soit pour tout le monde pareil. Sans ça, il n’y aurait pas d’égalité. Ce serait injuste.
H
ÉLOÏSE
– Où est le problème ?
V
ICTOR
– Je crois qu’il faut un peu des deux : l’un ne va pas sans l’autre. Il faut la liberté et l’égalité.
40
D i a l o g u e 4 / L o i e t É t a t
Illusion de synthèse
Problématique 26 :
L’État est-il une fin en soi ?
(texte p. 111)
Problématiques 6,
18, 22, 24, 25
Difficulté
à problématiser
Problématique 22 :
L’État doit-il se conformer au droit ?
(texte p. 106)
Problématiques 7,
18, 19, 26
Problématique accomplie
« Égalité » et « liberté » semblent ici se poser mutuellement un problème, qu’il s’agit d’articuler. On ne peut arbitrairement décréter, sans le montrer, que « l’un ne va pas sans l’autre »
H
ÉLOÏSE
– Comment cela ?
V
ICTOR
– La liberté toute seule, c’est l’égoïsme, le règne du plus fort. L’égalité toute seule, c’est la dictature : il faut que tout le monde soit pareil. En fait, les lois et la justice sont là surtout pour défendre simultanément ces différents principes. ➝
C
ITATIONS
11
ET
12
H
ÉLOÏSE
– Liberté et égalité font-elles bon ménage ?
V
ICTOR
– Elles se compensent mutuellement.
H
ÉLOÏSE
– Pourrais-tu composer une proposition générale qui les articule ensemble ?
V
ICTOR
– C’est clair pourtant !
H
ÉLOÏSE
– Encore un petit effort, histoire de vérifier leur fonctionnement commun.
V
ICTOR
– La liberté et l’égalité sont deux aspirations légitimes qui se contredisent, aussi faut-il faire la part des choses.
« Faire la part des choses » ne signifie rien de précis, or il s’agit ici de proposer une formulation, un concept, qui permettrait d’arti culer ensemble « liberté » et « égalité », à la fois dans leur concordance et dans leur contradiction.
H
ÉLOÏSE
– Et qui va faire cette « part des choses » ?
V
ICTOR
– L’État, bien sûr ! La justice !
H
ÉLOÏSE
– Vas-y, explique-toi.
V
ICTOR
– Tiens, j’ai une idée qui va te rendre heureuse.
H
ÉLOÏSE
– Tu es trop gentil…
V
ICTOR
– L’État, responsable de la justice, doit faire la part des choses entre le désir de liberté et le souci d’égalité, contradictoires, et pourtant tous deux nécessaires au bon fonctionnement de la société. Il n’y a que lui qui peut jouer ce rôle de régulateur, même si son pouvoir est arbitraire : il faut bien que quelqu’un tranche. ➝
C
ITATIONS
13
ET
14
Le concept de « justice », même « arbitraire », permet de montrer comment deux tendances « contradictoires et nécessaires » peuvent coexister au sein de la société.
H
ÉLOÏSE
– Cela va-t-il de soi ?
V
ICTOR
– Non ! Certains penseront que l’État les
41
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
Introduction d’un concept opératoire
Problématique 6 :
L’État doit-il obéir
à la morale ?
(texte p. 87)
Problématiques 3,
19, 20, 24, 26
empêche d’être libres, d’autres diront qu’ils sont lésés parce qu’il y a trop d’inégalité.
H
ÉLOÏSE
– Personne n’est satisfait dans ton système…
V
ICTOR
– Peut-être, mais il y a aussi la fraternité, comme il est écrit sur le devant des mairies.
H
ÉLOÏSE
– La fraternité ?
V
ICTOR
– Oui.
H
ÉLOÏSE
– Sommes-nous tous frères ?
V
ICTOR
– C’est une manière de parler. La fraternité signifie que nous avons tous quelque chose en commun.
Nous appartenons à une même nation, par exemple.
Nous faisons des choses en commun, nous avons un intérêt commun, un passé commun.
Après avoir montré ce qui divise et oppose les membres d’une société, la « fraternité » montre ce qui les rassemble, en utilisant l’idée de nation.
H
ÉLOÏSE
– Qu’est-ce que cela change par rapport à l’égalité et à la liberté ?
V
ICTOR
– La fraternité est un sentiment, une valeur morale, qui nous permet de mieux accepter l’idée de l’État. Si nous sommes tous frères et sœurs, nous pouvons, comme dans une famille, accepter quelques petits sacrifices pour le bien des autres. Mais c’est un peu utopique. Je ne suis pas sûr que la fraternité soit le souci principal de tous les citoyens. Ni de l’État d’ailleurs, surtout préoccupé par le pouvoir. ➝
C
ITATIONS
15
ET
16
Les échos des philosophes
➝
L
ES NUMÈROS DES CITATIONS RENVOIENT AU DIALOGUE
.
1-
« Le citoyen est censé avoir accepté une fois pour toutes, avec les lois de la société, celle-là même qui risque de le punir. »
F
OUCAULT
, Surveiller et Punir, 1975.
2-
« Si je n’ai pas de devoir, je ne connais pas non plus de loi. »
S
TIRNER
, L’Unique et sa propriété, 1845.
3-
« Il n’y a donc qu’un impératif catégorique, et c’est celui-ci :
Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » K
ANT
,
Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785.
42
D i a l o g u e 4 / L o i e t É t a t
4-
« Il y a une morale des maîtres et une morale des esclaves. »
N
IETZSCHE
, Par-delà le bien et le mal, 1886.
5-
« Aucune loi ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas entendus sur la personne qui doit la faire. » H
OBBES
,
Léviathan, 1651.
6-
« L’État est le produit et la manifestation des antagonismes de classes inconciliables. » L
ÉNINE
, L’État et la Révolution, 1917.
7-
« L’État veut dire la domination, et toute domination suppose l’assujettissement des masses et par conséquent leur exploitation au profit d’une minorité gouvernante quelconque. »
B
AKOUNINE
, lettre du 5 octobre 1872 à la rédaction de La Liberté.
8-
« Cette unité substantielle [de l’État] est un but propre absolu, immobile, dans lequel la liberté obtient sa valeur suprême, et ainsi ce but final a un droit souverain vis-à-vis des individus […]. » H
EGEL
, Principes de la philosophie du droit, 1821.
9-
« L’État, c’est le plus froid des monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : “Moi, l’État, je suis le Peuple”. » N
IETZSCHE
, Ainsi parlait Zarathoustra,
1883-1885.
10-
« Il n’y a de liberté qu’assurée par l’État et, de l’autre, seul un État contrôlé par des citoyens libres peut vraiment leur donner la sécurité. » P
OPPER
, La Société ouverte et ses ennemis, 1979.
11-
« La sûreté est le concept social suprême de la société bourgeoise, le concept de la police, selon lequel toute société n’est là que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de sa propriété. » M
ARX
, La
Question juive, 1844.
12-
« Si l’on cherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la
liberté et l’égalité. » R
OUSSEAU
, Du contrat social, 1762.
13-
« Un des premiers objets de la société civile, objet qui devient une de ses règles fondamentales, est que personne ne
soit juge de sa propre cause. » B
URK
e, Réflexions sur la révolution
de France, 1790.
14-
« […] L’État a interdit à l’individu l’usage de l’injustice, non parce qu’il veut l’abolir, mais parce qu’il veut en avoir le monopole […]. » F
REUD
, Actuelles sur la guerre et la mort, 1915.
43
P a r t i e 1 / D i a l o g u e s
15-
« La charité bien entendue est le fondement de la justice.
[…] La justice est une charité conforme à la sagesse. » L
EIBNIZ
,
1646-1716.
16-
« […] Il [un prince] est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. » M
ACHIAVEL
, Le Prince, 1532 (posthume).
E n r é s u m é . . .
D’un côté, la société semble subie : les règles et coutumes sont léguées par la tradition, les sociétés antérieures, que nous n’avons pas choisies. D’un autre côté, elle résulte de l’action humaine, elle est instituée : les lois qui organisent les affaires humaines proviennent de la décision des hommes, ce qui implique qu’ils agissent librement dans la société. Bien entendu, ce second caractère sera d’autant plus effectif que le citoyen possède la possibilité de participer au processus de décision et qu’il accède réellement à la sphère du droit. D’autant plus que ces lois lui seront par la suite imposées par l’État.
Diverses tendances conflictuelles émergent au sein de ce débat : par exemple entre les idées de liberté et d’égalité. Chacun aspire
à être libre et en même temps protégé par l’État. D’autres idées mettent au contraire l’accent sur l’intérêt commun : par exemple la fraternité. Ces enjeux d’idéaux annoncent le passage du social au politique.
L e s n o t i o n s - o u t i l s
Loi : règle impérative et normative, morale, juridique, intellectuelle ou autre, émanant d’une autorité souveraine, extérieure ou intérieure à l’individu.
Tradition : façon d’agir, de faire ou de penser héritée du passé, transmise par les générations précédentes et ainsi conservée.
Peut aussi désigner le phénomène de la transmission lui-même.
44
D i a l o g u e 4 / L o i e t É t a t
Morale : ensemble de principes et de règles de conduite définissant et prescrivant le permis et le défendu, l’utile et le nuisible, le bien et le mal.
Dictature : situation politique caractérisée par la confiscation et la concentration de tous les pouvoirs publics entre les mains d’une personne, d’un parti ou d’une classe de la société.
Despotisme : pouvoir d’un seul, dans la mesure où il s’exerce hors de toute légitimité ou légalité. Il n’est dès lors déterminé que par l’arbitraire, le caprice du monarque. Synonyme : tyrannie.
Démocratie : système politique dans lequel la souveraineté est assumée par le peuple, l’ensemble des citoyens, soit par euxmêmes : démocratie directe, soit par l’intermédiaire de leurs représentants élus : démocratie parlementaire.
Individu : réalité une, complète et autonome. Être organisé indivisible, végétal, animal ou humain. L’homme en tant qu’élément de base de la collectivité, du groupe social. En ce sens restreint, l’individuel s’oppose au collectif.
Personne : être humain, au sens moral, intellectuel ou juridique.
Égalité : principe ou idéal selon lequel les membres d’un groupe, les citoyens d’un État doivent être considérés et traités de la même façon, en particulier sur le plan juridique : égalité des droits, sur le plan moral : dignité, ou sur le plan social :
égalité des conditions, des revenus, etc.
Inégalité : état de fait ou statut politique contrevenant à ce principe ou cet idéal.
Nation : communauté de citoyens, considérée comme une entité indépendante, association qui peut être fondée sur l’identité ethnique, culturelle ou historique.
État : société, groupement autonome et souverain d’individus occupant un territoire déterminé, rassemblés sous une même autorité politique ou administrative. Peut être synonyme de nation.
Structure politique, judiciaire et administrative qui régit une nation ou un peuple.
Dirigeant, gouvernement, personne morale qui représente et dirige une nation ou un peuple.
45
Partie
2
Textes
En relation avec les problématiques mises au jour dans les dialogues.
P a r t i e 2 / Te x t e s
Problématique 1 La société se confond-elle avec la communauté ?
Weil
Philosophie politique,
© Éditions Vrin, 1971, pp. 70 et 138-139.
L
es valeurs historiques et le sacré d’une communauté tombent donc du côté opposé à celui de la technique et de la lutte avec la nature extérieure. On peut alors distinguer la communauté de la société, réservant le premier terme à ce qui est vécu dans une expérience directe de compréhension « humaine », dans le cadre d’institutions qui n’ont pas été créées ni « ré-organisées » par un organisateur rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux « origines », aux temps immémoriaux. On peut opposer, pratiquement dans un sens analogue, le peuple à l’État considéré comme création récente, non comme aboutissement d’une évolution « organique ». On peut séparer, sur un autre plan, la race, donnée naturelle irréductible, de la nation, artificielle dans cette vue, du moins par rapport à la race – ou les
croyants (quelle que soit la foi en question) des incroyants, des
calculateurs, des déracinés, de ceux qui se sont détachés de la
tradition pour se mettre du côté de l’efficacité technique et se déclarent prêts à abandonner les valeurs traditionnelles. […]
Il est vrai que parfois on oppose la communauté comme le bien à la société, incarnation du mal, l’une organique, l’autre artificielle.
En fait, c’est la communauté historique qui a produit la société et, ce qui importe à présent, l’État, lequel, selon ces théories, tombe du côté du mal, du rationnel et du non-vital. Les communautés modernes sont modernes parce qu’elles s’organisent consciemment, parce que la raison n’y est pas seulement visible
à qui connaît les résultats de leur évolution, mais est ce qui y veut et y est voulu. L’État moderne n’en est pas moins communauté ; mais il est forme consciente, et ce n’est qu’en lui (dans la tension entre société et communauté qu’il pense) que la
communauté se voit comme communauté. La critique du concept de communauté du point de vue de la société, critique qui correspond à cette pseudo-critique de la société et de l’État du point de vue de la communauté, ne résiste pas mieux que celle-ci. […] Reste qu’une tension existe entre société et communauté et, par conséquent, entre la société et l’État, tension non seulement entre des concepts mais entre des aspects réels de la réalité [...]. Mais une fois de plus, le problème n’est pas résolu quand on en nie l’existence, et c’est ce que l’on fait quand,
choisissant entre communauté et société, on opte pour l’une à
l’exclusion de l’autre.
82
P r o b l é m a t i q u e s 1 e t 2
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Comment s’opposent généralement société et communauté ?
2 Pourquoi opter pour l’une à l’exclusion de l’autre ?
3 Peut-on réellement opposer la société et l’État à la communauté ?
Problématique
Mill
L’Utilitarisme (1861), trad. Georges
Tanesse, © Éditions
Garnier-Flammarion,
1968, pp. 94-95.
2 L’intérêt est-il fondement premier de la société ?
U
ne société d’êtres humains, si on excepte la relation de maître à esclave, est manifestement impossible si elle ne repose pas sur le principe que les intérêts de tous seront consultés. Une société d’égaux ne peut exister s’il n’est pas bien entendu que les intérêts de tous doivent être également pris en considération. Et puisque, dans tous les états de civilisation, chaque personne, à l’exception du monarque absolu, a des égaux, chacun est obligé de vivre sur le pied d’égalité avec quelqu’un ; et chaque époque marque un progrès vers la réalisation d’un état de choses dans lequel il sera impossible de vivre autrement, de façon permanente, avec qui que ce soit. De la sorte, les hommes en arrivent à être incapables de concevoir comme possible pour eux un état de choses où l’on négligerait totalement les intérêts d’autrui. Ils sont dans la nécessité de se concevoir eux-mêmes comme s’abstenant tout au moins des actes les plus nuisibles et (ne fût-ce que pour leur protection personnelle) comme ne cessant de protester contre de tels actes. [...]. Aussi longtemps qu’ils sont en train de coopérer, leurs fins sont identifiées avec les fins d’autrui ; ils ont, au moins pendant quelque temps, le sentiment que les intérêts d’autrui sont leurs propres intérêts. Non seulement tout renforcement des liens sociaux, tout développement normal de la société, donne à chaque individu un intérêt personnel plus grand à tenir compte pratiquement du bien-être des autres, mais aussi l’individu sera amené à donner de plus en plus comme objet à ses sentiments le bien des autres, ou tout au moins à le prendre de plus en plus en considération dans la pratique. Il en arrive, comme instinctivement, à se considérer lui-même comme un être qui se préoccupe
naturellement des autres. Le bien d’autrui devient pour lui une chose dont il est naturel et nécessaire qu’il s’occupe, comme nous nous occupons des conditions physiques de notre existence.
83
P a r t i e 2 / Te x t e s
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 La poursuite de l’intérêt nuit-elle à l’égalité sociale ?
2 Peut-on viser principalement son propre intérêt sans être égoïste ?
3 Le froid calcul de l’intérêt n’est-il pas un obstacle au sentiment social, à la sociabilité ?
Problématique
Bakounine
Œuvres, tome I,
in Henri Arvon :
Michel Bakounine,
© Éditions Seghers,
1966, pp. 98-99.
3 L’État est-il au service de l’individu ?
Q
u’est-ce que l’État ? C’est, nous répondent les métaphysiciens et les docteurs en droit, c’est la chose publique ; les intérêts, le bien collectif et le droit de tout le monde, opposés à l’action dissolvante des intérêts et des passions égoïstes de chacun. C’est la justice et la réalisation de la morale et de la vertu sur terre. Par conséquent, il n’est point d’acte plus sublime ni de plus grand devoir pour les individus que de se dévouer, de se sacrifier, et au besoin de mourir pour le triomphe, pour la puissance de l’État […]. Voyons maintenant si cette théologie politique, de même que la théologie religieuse, ne cache pas, sous de très belles et de très poétiques apparences, des réalités très communes et très sales.
Analysons d’abord l’idée même de l’État, telle que nous la présentent ses prôneurs. C’est le sacrifice de la liberté naturelle et des intérêts de chacun – individus aussi bien qu’unités collectives comparativement petites : associations, communes et provinces – aux intérêts et à la liberté de tout le monde, à la prospérité du grand ensemble. Mais ce tout le monde, ce grand ensemble, qu’est-il en réalité ? C’est l’agglomération de tous les individus et de toutes les collectivités humaines plus restreintes qui le composent. Mais, du moment que pour le composer et pour s’y coordonner tous les intérêts individuels et locaux doivent être sacrifiés, le tout, qui est censé les représenter, qu’est-il en effet ? Ce n’est pas l’ensemble vivant, laissant respirer chacun
à son aise et devenant d’autant plus fécond, plus puissant et plus libre que plus largement se développent en son sein la pleine liberté et la prospérité de chacun ; ce n’est point la société humaine naturelle, qui confirme et augmente la vie de chacun par la vie de tous ; c’est, au contraire, l’immolation de chaque individu comme de toutes les associations locales, l’abstraction destructive de la société vivante, la limitation ou, pour mieux dire, la complète négation de la vie et du droit de toutes les parties qui composent tout le monde, pour le soi-disant bien de tout
84
P r o b l é m a t i q u e s 3 e t 4 le monde : c’est l’État, c’est l’autel de la religion politique sur lequel la société naturelle est toujours immolée : une universalité dévorante, vivant de sacrifices humains […].
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Qu’est-ce que l’État exige de l’individu ?
2 L’État peut-il remplir sa fonction d’unificateur ?
3 Les individus trouvent-ils l’égalité et la fraternité dans l’État ?
Problématique 4 Une société doit-elle exclure pour exister ?
Freud
Le Malaise dans
la culture (1929), trad. P. Cotet, R. Lainé et J. Stute-Cadiot, coll. « Quadrige »,
© PUF, 3 e
éd. 1998, pp. 56-57.
I
l n’est manifestement pas facile aux hommes de renoncer à satisfaire ce penchant à l’agression qui est le leur ; ils ne s’en trouvent pas bien. L’avantage d’une sphère de culture plus petite – permettre à la pulsion de trouver une issue dans les hostilités envers ceux de l’extérieur – n’est pas à dédaigner. Il est toujours possible de lier les uns aux autres dans l’amour une assez grande foule d’hommes, si seulement il en reste d’autres
à qui manifester de l’agression. Je me suis une fois occupé du phénomène selon lequel, précisément, des communautés voisines, et proches aussi les unes des autres par ailleurs, se combattent et se raillent réciproquement, tels les Espagnols et les Portugais, les Allemands du Nord et ceux du Sud, les Anglais et les Écossais, etc. J’ai donné à ce phénomène le nom de “ narcissisme des petites différences ”, qui ne contribue pas beaucoup à l’expliquer. Maintenant, on reconnaît là une satisfaction commode et relativement anodine du penchant à l’agression par lequel la cohésion de la communauté est plus facilement assurée à ses membres. Le peuple des juifs, dispersé dans toutes les directions, a de cette façon grandement mérité des cultures de ses peuples d’accueil ; mais hélas ! tous les massacres de juifs au Moyen Âge n’ont pas suffi à rendre cette
époque plus pacifique et plus sûre pour les chrétiens contemporains. Après que l’apôtre Paul eut fait de l’universel amour des hommes le fondement de sa communauté chrétienne, l’extrême intolérance du christianisme envers ceux qui étaient restés en dehors en avait été une conséquence inévitable ; aux Romains, qui n’avaient pas fondé sur l’amour la vie publique au sein de leur État, l’intolérance religieuse était restée étrangère, bien que chez eux la religion fût affaire d’État et que l’État fût imprégné
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P a r t i e 2 / Te x t e s de religion. Ce ne fut pas non plus un hasard incompréhensible si le rêve d’une domination germanique sur le monde appela comme son complément l’antisémitisme, et il est concevable, on le reconnaît, que la tentative d’édifier en Russie une nouvelle culture communiste trouve son support psychologique dans la persécution des bourgeois. On se demande seulement avec inquiétude ce que les Soviets entreprendront une fois qu’ils auront exterminé leurs bourgeois.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 La vie en société est-elle un remède à l’agressivité naturelle de l’homme ?
2 En quoi l’exclusion de l’autre est-elle paradoxalement un facteur de sociabilité ?
3 L’exclusion est-elle un remède aux problèmes sociaux ?
Problématique 5 L’égalité est-elle possible en société ?
Rawls
« Théorie de la justice » in Théorie de la justice
(1971), trad.
C. Audard, © Éditions du Seuil, 1987, pp. 91-92.
J
e présenterai maintenant, sous une forme provisoire, les deux principes de la justice sur lesquels se ferait un accord dans la position originelle. […]
En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres.
En second lieu : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous.
[…] Ces principes s’appliquent, en premier lieu, […], à la structure sociale de base ; ils commandent l’attribution des droits et des devoirs et déterminent la répartition des avantages économiques et sociaux. Leur formulation présuppose que, dans la perspective d’une théorie de la justice, on divise la structure sociale en deux parties plus ou moins distinctes, le premier principe s’appliquant à l’une, le second à l’autre. Ainsi, nous distinguons entre les aspects du système social qui définissent et garantissent l’égalité des libertés de base pour chacun et les aspects qui spécifient et établissent des inégalités sociales et
économiques. Or, il est essentiel d’observer que l’on peut établir une liste de ces libertés de base. Parmi elles, les plus importantes sont les libertés politiques (droit de vote et d’occuper un poste public), la liberté d’expression, de réunion, la liberté de
86
P r o b l é m a t i q u e s 5 e t 6 pensée et de conscience ; la liberté de la personne qui comporte la protection à l’égard de l’oppression psychologique et de l’agression physique (intégrité de la personne) ; le droit de propriété personnelle et la protection à l’égard de l’arrestation et de l’emprisonnement arbitraires, tels qu’ils sont définis par le concept de l’autorité de la loi. Ces libertés doivent être égales pour tous d’après le premier principe.
Le second principe s’applique, dans la première approximation,
à la répartition des revenus et de la richesse et aux grandes lignes des organisations qui utilisent des différences d’autorité et de responsabilité. Si la répartition de la richesse et des revenus n’a pas besoin d’être égale, elle doit être à l’avantage de chacun et, en même temps, les positions d’autorité et de responsabilité doivent être accessibles à tous. On applique le second principe en gardant les positions ouvertes, puis, tout en respectant cette contrainte, on organise les inégalités économiques et sociales de manière à ce que chacun en bénéficie.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 En quoi consiste l’égalité politique ?
2 Quels sont les deux aspects de l’égalité sociale et économique ?
3 Quel est le rôle de la justice ?
Problématique
Machiavel
Le Prince (1513), chap. XVIII, trad. J.-V. Périès, coll. « Les Intégrales de Philo »,
© Éditions Nathan,
1998, pp. 96-97.
6 L’État doit-il obéir à la morale ?
I
l n’est pas bien nécessaire qu’un prince les [bonnes qualités] possède toutes, mais il l’est nécessaire qu’il paraisse les avoir.
J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir en savoir au besoin montrer les qualités opposées.
On doit bien comprendre qu’il n’est pas possible à un prince, et surtout à un prince nouveau, d’observer dans sa conduite tout ce qui fait que les hommes sont réputés gens de bien, et qu’il est souvent obligé, pour maintenir l’État, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon
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P a r t i e 2 / Te x t e s que le vent et les accidents de la fortune le commandent : il faut que […] il ne s’écarte pas à la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal.
Il doit aussi prendre grand soin de ne pas laisser échapper une seule parole qui ne respire les cinq qualités que je viens de nommer ; en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion […] : car les hommes, en général, jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir souverain.
Au surplus, dans les actions des hommes, et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère, c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État : s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde. Le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement : et le vulgaire ne fait-il pas le monde ?
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Pourquoi le prince doit-il se tenir à l’écart de la morale ?
2 Pourquoi doit-il néanmoins paraître vertueux ?
3 Pourquoi le peuple accepte-t-il l’immoralité du prince ?
Problématique
Hegel
Principes de la philosophie
du droit (1821), paragraphe 258, trad. R. Derathé,
© Librairie Vrin, 1975, pp. 258-259.
7 L’État représente-t-il l’aboutissement historique de la vie en société ?
S
i l’on confond l’État avec la société civile et si on lui donne pour destination la tâche de veiller à la sûreté, d’assurer la propriété privée et la liberté personnelle, c’est l’intérêt des individus comme tels qui est le but final en vue duquel ils se sont unis et il s’ensuit qu’il est laissé au bon vouloir de chacun de devenir membre de l’État. Mais l’État a un tout autre rapport avec l’individu ; étant donné que l’État est Esprit objectif, l’individu ne peut avoir lui-même de vérité, une existence objective et une vie
éthique que s’il est membre de l’État. L’union en tant que telle est elle-même le véritable contenu et le véritable but, car les individus ont pour destination de mener une vie universelle ; les autres formes de leur satisfaction, de leur activité et de leur conduite ont
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P r o b l é m a t i q u e 7 cet élément substantiel et universel pour point de départ et pour résultat. Considérée abstraitement, la rationalité consiste en général dans l’union intime de l’universalité et de la singularité.
Considérée concrètement, comme c’est le cas ici, elle consiste, quant à son contenu, dans l’unité de la liberté objective, c’est-àdire de la volonté substantielle générale et de la liberté subjective, en tant que savoir individuel et volonté cherchant à réaliser ses buts particuliers – et pour cette raison, quant à sa forme, elle consiste dans une façon d’agir se déterminant selon des lois et des principes pensés, c’est-à-dire universels. – Cette Idée est l’être éternel et nécessaire en soi et pour soi de l’Esprit.
[…] En ce qui concerne ce concept et son élaboration, Rousseau a eu le mérite d’établir un principe qui, non seulement dans sa forme (comme le sont la sociabilité, l’autorité divine), mais également dans son contenu, est une pensée et, à vrai dire, la pensée elle-même, puisqu’il a posé la volonté comme principe de l’État.
Mais comme il n’a conçu la volonté que sous la forme déterminée de la volonté individuelle […] et que la volonté générale n’est pas ce qui est rationnel en soi et pour soi dans la volonté, mais seulement ce qui se dégage comme intérêt commun dans chaque volonté individuelle consciente d’elle-même, l’association des individus dans l’État devient, dans sa doctrine, un contrat. Ce contrat a pour fondement le libre arbitre des individus, leur opinion, leur consentement libre et explicite. Ce qui, par voie de conséquence logique, a pour résultat de détruire le divin existant en soi et pour soi, son autorité et sa majesté absolues.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Pourquoi l’homme est-il fait pour vivre en société ?
2 En quoi l’État est-il l’aboutissement de la vie en société ?
3 Pourquoi la doctrine qui fait reposer l’État sur un contrat s’avère-t-elle insuffisante ?
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P a r t i e 2 / Te x t e s
Problématique
Rousseau
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi
les hommes (1754), coll. « Les Intégrales de Philo », © Éditions
Nathan, 1998, pp. 109-110.
8 Une société a-t-elle nécessairement une finalité ?
L’
homme originel s’évanouissant par degrés, la société n’offre plus aux yeux du sage qu’un assemblage d’hommes artificiels et de passions factices qui sont l’ouvrage de toutes ces nouvelles relations et n’ont aucun vrai fondement dans la nature. Ce que la réflexion nous apprend là-dessus, l’observation le confirme parfaitement : l’homme sauvage et l’homme policé diffèrent tellement par le fond du cœur et des inclinations que ce qui fait le bonheur suprême de l’un réduirait l’autre au désespoir. Le premier ne respire que le repos et la liberté, il ne veut que vivre et rester oisif, et l’ataraxie
1 même du stoïcien n’approche pas de sa profonde indifférence pour tout autre objet. Au contraire, le citoyen toujours actif sue, s’agite, se tourmente sans cesse pour chercher des occupations encore plus laborieuses : il travaille jusqu’à la mort, il y court même pour se mettre en état de vivre, on renonce à la vie pour acquérir l’immortalité. Il fait sa cour aux grands qu’il hait et aux riches qu’il méprise ; il n’épargne rien pour obtenir l’honneur de les servir ; il se vante orgueilleusement de sa bassesse et de leur protection ; et, fier de son esclavage, il parle avec dédain de ceux qui n’ont pas l’honneur de le partager. Quel spectacle pour un Caraïbe que les travaux pénibles et enviés d’un ministre européen ! Combien de morts cruelles ne préférerait pas cet indolent sauvage à l’horreur d’une pareille vie qui souvent n’est même pas adoucie par le plaisir de bien faire ? Mais pour voir le but de tant de soins, il faudrait que ces mots, puissance et réputation, eussent un sens dans son esprit, qu’il apprît qu’il y a une sorte d’hommes qui comptent pour quelque chose les regards du reste de l’univers, qui savent
être heureux et contents d’eux-mêmes sur le témoignage d’autrui plutôt que sur le leur propre. Telle est, en effet, la véritable cause de toutes ces différences : le sauvage vit en lui-même ; l’homme sociable, toujours hors de lui, ne sait que vivre dans l’opinion des autres, et c’est, pour ainsi dire, de leur seul jugement qu’il tire le sentiment de sa propre existence. Il n’est pas de mon sujet de montrer comment d’une telle disposition naît tant d’indifférence pour le bien et le mal, avec de si beaux discours de morale ; comment, tout en se réduisant aux apparences, tout devient factice et joué ; honneur, amitié, vertu, et souvent jusqu’aux vices mêmes, dont on trouve enfin le secret de se glorifier ; comment, en un mot, demandant toujours aux autres ce
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P r o b l é m a t i q u e s 8 e t 9 que nous sommes et n’osant jamais nous interroger là-dessus nous-mêmes, au milieu de tant de philosophie, d’humanité, de politesse et de maximes sublimes, nous n’avons qu’un extérieur trompeur et frivole, de l’honneur sans vertu, de la raison sans sagesse, et du plaisir sans bonheur.
1. L’ataraxie est littéralement un état d’« absence de troubles » que le sage stoïcien acquiert par un détachement à l’égard des passions.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Qu’est-ce qui caractérise l’activité en société ?
2 Que perd l’homme en vivant en société ?
3 Qu’y gagne-t-il ?
Problématique
Locke
Deuxième Traité du gouvernement civil
(1698), trad. B. Gilson,
© Librairie Vrin, 1985, pp. 203-204.
9 Le droit de propriété est-il une entrave
à la vie en société ?
L
a raison pour laquelle les hommes entrent en société, c’est qu’ils veulent sauvegarder leur propriété ; la fin qu’ils se proposent lorsqu’ils choisissent et habilitent un pouvoir législatif, c’est de faire adopter des lois et établir des règles, qui servent de protection et de clôture à la propriété dans la société entière, de façon que chaque élément, ou chaque membre de celle-ci, détienne seulement un pouvoir limité et une autorité tempérée.
En aucun cas, on ne saurait imaginer que la société veuille habiliter le pouvoir législatif à détruire l’objet même que chacun se proposait de sauvegarder quand il s’est joint à elle et que le peuple avait en vue quand il s’est donné des législateurs de son choix ; chaque fois que les législateurs tentent de saisir et de
détruire les biens du peuple, ou de le réduire à l’esclavage d’un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui ; dès lors, il est dispensé d’obéir et il n’a plus qu’à se fier au remède que Dieu a donné à tous les hommes contre la force et la violence. Aussi, dès que le pouvoir législatif transgresse cette règle fondamentale de la société, dès que l’ambition, la peur, la folie, ou la corruption, l’incitent à essayer, soit de saisir lui-même une puissance qui le rende absolument maître de la vie des sujets, de leurs libertés et de leurs patrimoines, soit de placer une telle puissance
entre les mains d’un tiers, cet abus de confiance le fait déchoir des
fonctions d’autorité dont le peuple l’avait chargé à des fins absolument opposées ; le pouvoir fait retour au peuple, qui a le droit
91
P a r t i e 2 / Te x t e s de reprendre sa liberté originelle et d’établir telle législature nouvelle que bon lui semble pour assurer sa sûreté et sa sécurité, qui sont la fin qu’il poursuit dans l’état social. Ce que je viens de dire du pouvoir législatif en général s’applique aussi à l’exécuteur
suprême ; il est chargé d’une double mission, celle de participer à l’activité législative et celle d’assurer l’exécution suprême des lois ; il faillit à l’un et à l’autre devoir, s’il tente d’ériger l’arbitraire de sa volonté personnelle en loi de la société.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 La société est-elle mise en danger par la propriété ?
2 Quel est le but des règles sociales, des lois ?
3 L’État peut-il s’en prendre à la propriété ?
Problématique
Aristote
Politiques
(
IV e s. av. J.-C.), livre I, chap. 2, trad. P. Pellegrin, coll. « Les Intégrales de Philo », © Éditions
Nathan/HER, 2000, pp. 28-29.
10 L’homme est-il fait pour vivre en société ?
L
a communauté élémentaire formée de plusieurs familles en vue de satisfaire des besoins qui ne sont plus seulement quotidiens, c’est le village. […] Quant à la communauté achevée formée de plusieurs villages c’est la cité, qui déjà atteint une sorte d’autarcie complète : sa genèse s’explique par les nécessités vitales, mais quand elle existe elle permet, en plus, une vie heureuse. C’est pourquoi toute cité est naturelle, puisque le sont les premières communautés qui la constituent. Car elle est leur fin, et la nature est fin : car ce que chaque chose est une fois que sa genèse est complètement achevée, nous disons que c’est la nature de cette chose […].
Nous en déduisons qu’à l’évidence la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est par nature un animal politique ; si bien que celui qui vit hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard des circonstances, est soit un être dégradé, soit un
être surhumain : il est comme celui qu’Homère injurie en ces termes : “ sans lignage, sans loi, sans foyer ”. Car un tel homme est du même coup naturellement passionné de guerre. Il est comme une pièce isolée au jeu de tric-trac. C’est pourquoi il est
évident que l’homme est un animal politique, bien plus que n’importe quelle abeille ou n’importe quel animal grégaire. Car, nous le disons souvent, la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux l’homme est doué de parole.
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P r o b l é m a t i q u e s 1 0 e t 1 1
Certes la voix sert à signifier la douleur et le plaisir, et c’est pourquoi on la rencontre chez les autres animaux […]. Mais la parole existe en vue de manifester l’utile et le nuisible, puis aussi, par voie de conséquence, le juste et l’injuste. C’est ce qui fait qu’il n’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux : la perception du bien et du mal, du juste et de l’injuste et autres notions de ce genre ; et avoir de telles notions en commun, voilà ce qui fait une famille et une cité.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Pourquoi l’homme vit-il non seulement en famille ou en village, mais aussi en cité ?
2 Peut-on être pleinement homme sans vivre en société ?
3 Quelle est l’importance du discours pour les hommes ?
Problématique
Smith
Recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations (1776), livre IV, chap. 2, trad. G. Garnier revue par A. Blanqui,
© Éditions Garnier-
Flammarion, 1991, t. 2, pp. 42-43.
11 La liberté individuelle est-elle compatible avec la vie en société ?
P
uisque chaque individu tâche, le plus qu’il peut 1) d’employer son capital à faire valoir l’industrie nationale, et 2) de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention, en général, n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, il ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière
à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. Je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n’est pas très commune parmi les marchands, et qu’il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir.
93
P a r t i e 2 / Te x t e s
Quant à la question de savoir quelle est l’espèce d’industrie nationale que son capital peut mettre en œuvre, et de laquelle le produit promet de valoir davantage, il est évident que chaque individu, dans sa position particulière, est beaucoup mieux à même d’en juger qu’aucun homme d’État ou législateur ne pourra le faire pour lui. L’homme d’État qui chercherait à diriger les particuliers dans la route qu’ils ont à tenir pour l’emploi de leurs capitaux, non seulement s’embarrasserait du soin le plus inutile, mais encore il s’arrogerait une autorité qu’il ne serait pas sage de confier, je ne dis pas à un individu, mais à un conseil ou à un sénat, quel qu’il pût être ; autorité qui ne pourrait jamais être plus dangereusement placée que dans les mains de l’homme assez insensé et assez présomptueux pour se croire capable de l’exercer.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Quel est le principal facteur de la richesse nationale ?
2 La « main invisible » qui mène le cours des choses est-elle celle de l’État ?
3 Les agents économiques doivent-ils être dirigés par l’État ?
Problématique
Marx et Engels
L’Idéologie allemande
(1845-1846), trad. H. Hildenbrand, coll. « Les Intégrales de Philo », © Éditions
Nathan, 1997, pp. 56-57.
12 La société représente-t-elle l’aliénation de l’individu ?
E
t enfin – la division du travail nous en offre tout de suite le premier exemple – l’action propre de l’homme devient pour l’homme une puissance étrangère, opposée, qui l’asservit, au lieu que ce soit lui qui la maîtrise, tant que les hommes se trouvent dans la société naturelle, donc tant que subsiste la scission entre l’intérêt particulier et intérêt commun, et que l’activité n’est pas divisée volontairement mais du fait de la nature. Dès l’instant où l’on commence à répartir, chacun a une sphère d’activités déterminée et exclusive qu’on lui impose et dont il ne peut s’évader ; il est chasseur, pêcheur, berger ou « critique critique », et il doit le rester sous peine de perdre les moyens de subsistance - alors que dans la société communiste, où chacun, au lieu d’avoir une sphère d’activités exclusive peut se former dans la branche qui lui plaît ; c’est la société qui dirige la production générale qui me permet de faire aujourd’hui ceci, demain cela, de chasser le matin, d’aller à la pêche l’après-midi, de faire l’élevage le soir et de critiquer après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. Cette fixation de l’activité sociale, cette consolidation de
94
P r o b l é m a t i q u e s 1 2 e t 1 3 notre propre produit en une puissance matérielle qui nous domine, qui échappe à notre contrôle, qui contrarie nos espoirs et qui détruit nos calculs, est l’un des moments principaux du développement historique passé. […] La puissance sociale, c’est-à-dire la force productive décuplée résultant de la coopération imposée aux divers individus – dont la coopération n’est pas volontaire mais naturelle – non pas comme leur propre puissance conjuguée, mais comme une puissance étrangère, située en dehors d’eux dont ils ne connaissent ni la provenance ni la destination, si bien qu’ils n’arrivent plus à la dominer. Au contraire, cette puissance traverse une série de phases et de stades particuliers, série indépendante de la volonté et de la marche des hommes au point qu’elle dirige cette volonté et cette marche.
Naturellement, cette aliénation pour rester intelligible aux philosophes, ne peut être surmontée qu’à double condition pratique.
Pour qu’elle devienne une puissance « insupportable », c’est-àdire une puissance contre laquelle on se révolte, il faut qu’elle ait engendré des masses d’hommes dénuées de tout. Il faut, en même temps, que cette humanité vive en conflit avec un monde existant de richesse et de culture […].
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Pourquoi l’homme est-il aliéné ?
2 L’aliénation de l’homme est-elle une fatalité ?
3 À quelle condition une révolution est-elle envisageable ?
Problématique
Marx
Lettre à Annenkov du 28 décembre 1846, citée par Kostas
Papaioannou in Marx et les marxistes, coll. « Champs »,
© Éditions Flammarion,
1984, pp 85-86.
13 La société repose-t-elle sur des conventions arbitraires ?
Q
u’est-ce que la société, quelle que soit sa forme ? Le produit de l’action réciproque des hommes. Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle forme sociale ? Pas du tout. Supposez un niveau déterminé du développement des forces productives des hommes et vous aurez une forme déterminée des relations humaines et de la consommation. Supposez un niveau de développement déterminé de la production des relations humaines, de la consommation, et vous aurez une forme déterminée de régime social, une organisation déterminée de la famille, des ordres ou des classes, en un mot une société civile déterminée. Supposez une société civile déterminée et vous
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P a r t i e 2 / Te x t e s aurez des conditions politiques déterminées qui sont à leur tour l’expression officielle de la société civile.
Il n’est pas nécessaire d’ajouter que les hommes ne choisissent pas librement leurs forces productives – qui sont la base de toute leur histoire – car toute force productive est une force acquise, le produit d’une activité antérieure. Ainsi les forces productives sont le résultat de l’énergie pratique des hommes, mais cette
énergie elle-même est déterminée par les conditions dans lesquelles les hommes se trouvent placés, par les forces productives déjà acquises, par la forme sociale qui existe avant eux, qu’ils ne créent pas, qui est le produit de la génération précédente. Ce simple fait que toute génération nouvelle trouve devant elle les forces productives acquises par la génération antérieure, qui lui servent de matière première pour la production nouvelle, crée un enchaînement dans l’histoire des hommes ; il constitue par là une histoire de l’humanité, qui est d’autant plus histoire de l’humanité que les forces productives des hommes et, en conséquence, leurs rapports sociaux ont grandi. Conséquence nécessaire : l’histoire sociale des hommes n’est jamais que l’histoire de leur développement individuel, qu’ils en aient conscience ou non. Leurs rapports matériels forment la base de tous leurs rapports. Ces rapports matériels ne sont que les formes nécessaires dans lesquelles leur activité matérielle et individuelle se réalise.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Quelle est la caractéristique première d’une société ?
2 Quels sont les niveaux successifs de déterminisme social ?
3 Les hommes sont-ils acteurs de leur vie sociale ?
Problématique
Aristote
La Politique (
IV e s. av. J.-C.), livre III, chap. 11, trad. J. Tricot,
© Librairie Vrin, 1982, pp. 214-216.
14 La société a-t-elle nécessairement raison contre l’individu ?
L
a conception suivant laquelle on doit confier le pouvoir souverain à la multitude plutôt qu’à une élite restreinte, peut sembler apporter une solution, défendable dans une certaine mesure et sans doute même répondant à la vérité. La multitude, en effet, composée d’individus qui, pris séparément, sont des gens sans valeur, est néanmoins susceptible, prise en corps, de se montrer supérieure à l’élite de tout à l’heure, non pas à titre individuel, mais à titre collectif […]. Dans une collectivité d’individus, en
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P r o b l é m a t i q u e s 1 4 e t 1 5 effet, chacun dispose d’une fraction de vertu et de sagesse pratique, et une fois réunis en corps, de même qu’ils deviennent en quelque manière un seul homme pourvu d’une grande quantité de pieds, de mains et de sens, ils acquièrent aussi la même unité en ce qui regarde les facultés morales et intellectuelles. C’est la raison encore pour laquelle la multitude est meilleur juge des
œuvres des musiciens et de celles des poètes : car l’un juge une partie de l’œuvre, l’autre une autre, et tous jugent le tout. Au surplus, ce n’est pas autrement que les hommes d’une vertu
éprouvée diffèrent de chacun des individus composant une foule ; cette différence est de même sorte que celle qu’on reconnaît entre les beaux hommes et les hommes sans beauté, et entre les peintures faites par art et leurs modèles originaux : elle consiste en ce que les éléments disséminés çà et là ont été réunis sur une seule tête, puisque, considérés du moins à part, l’œil d’une personne en chair et en os, ou quelque autre organe d’une autre personne, sont plus beaux que l’œil ou l’organe dessiné. Certes, la question de savoir si à toute démocratie et à toute multitude il est possible de reconnaître cette supériorité de la foule sur le petit nombre des gens de bien, demeure irrésolue, et peut-être, par Zeus ! est-ce une impossibilité manifeste de l’admettre pour certaines sortes de multitudes (car le même argument s’appliquerait aussi aux animaux sauvages ; et cependant en quoi certaines foules ne diffèrent-elles pour ainsi dire des brutes ?) ; mais pour telle multitude déterminée rien n’empêche la vérité de ce que nous avons soutenu.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Le grand nombre offre-t-il une garantie de bon gouvernement ?
2 Peut-il y avoir, sur le plan moral ou intellectuel, des hommes supérieurs à d’autres ?
3 La majorité a-t-elle toujours raison ?
Problématique 15 Toute société engendre-t-elle le conformisme ?
Arendt
Condition de l’homme
moderne (1958), trad. G. Fradier,
© Éditions Calmann-
Lévy, 1961, 1963,
1983, pp. 79-81.
L’
essentiel est que la société à tous les niveaux exclut la possibilité de l’action, laquelle était jadis exclue du foyer. De chacun de ses membres, elle exige au contraire un certain comportement, imposant d’innombrables règles qui, toutes, tendent à « normaliser » ses membres, à les faire marcher droit, à éliminer les gestes spontanés ou les exploits extraordinaires. Chez Rousseau, on rencontre ces exigences dans les salons de la haute société dont
97
P a r t i e 2 / Te x t e s les conventions identifient toujours l’individu à sa position sociale. C’est cette identification qui compte, et il importe peu qu’elle concerne le rang dans la société à demi féodale du
XVIIIe siècle, le titre dans la société de classe du
XIXe
, ou la simple fonction dans la société de masse d’aujourd’hui. Au contraire, l’avènement de la société de masse indique seulement que les divers groupes sociaux sont absorbés dans une société unique comme l’avaient été avant eux les cellules familiales ; ainsi le domaine du social, après des siècles d’évolution, est enfin arrivé au point de recouvrir et de régir uniformément tous les membres d’une société donnée. Mais en toutes circonstances la société
égalise : la victoire de l’égalité dans le monde moderne n’est que la reconnaissance juridique et politique du fait que la société a conquis le domaine public, et que les distinctions, les différences sont devenues affaires privées propres à l’individu.
Cette égalité moderne, fondée sur le conformisme inhérent à la société et qui n’est possible que parce que le comportement a remplacé l’action comme mode primordial de relations humaines, diffère à tous les points de vue de l’égalité antique, notamment celle des cités grecques […]. Le domaine public [y]
était réservé à l’individualité ; c’était le seul qui permettait à l’homme de montrer ce qu’il était réellement, ce qu’il avait d’irremplaçable. […]
C’est le même conformisme, supposant que les hommes n’agissent pas les uns avec les autres mais qu’ils ont entre eux un certain comportement, que l’on trouve à la base de la science moderne de l’économie, née en même temps que la société et devenue avec son outil principal, la statistique, la science sociale par excellence. […] L’économie ne put prendre un caractère scientifique que lorsque les hommes furent devenus des
êtres sociaux et suivirent unanimement certaines normes de comportement, ceux qui échappaient à la règle pouvant passer pour asociaux ou pour anormaux.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 La société soumet-elle l’activité humaine à des règles ?
2 Le conformisme social est-il une conséquence de l’idée d’égalité ?
3 Quelle place tiennent les actions personnelles ou originales dans la société ?
98
P r o b l é m a t i q u e s 1 5 e t 1 6
Problématique
Hume
Traité de la nature
humaine (1740), trad. A. Leroy, livre III,
2 e partie, section II,
© Éditions Aubier-
Montaigne, 1983, pp. 602-603.
16 La société améliore-t-elle l’être humain ?
C’
est par la société seule qu’il [l’homme] est capable de suppléer à ses déficiences, de s’élever à l’égalité avec ses compagnons de création et même d’acquérir sur eux la supériorité. La société compense toutes ses infirmités ; bien que, dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout moment, ses capacités sont pourtant encore augmentées et le laissent, à tous égards, plus satisfait et plus heureux qu’il lui serait jamais possible de le devenir dans son état de sauvagerie et de solitude. Quand chaque individu travaille isolément et seulement pour luimême, ses forces sont trop faibles pour exécuter une œuvre importante ; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes ses différentes nécessités, il n’atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier ; comme ses forces et ses succès ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le moindre échec sur l’un ou l’autre de ces points s’accompagne nécessairement d’une catastrophe inévitable et de malheur. La société fournit un remède à ces trois désavantages. L’union des forces accroît notre pouvoir ; la division des tâches accroît notre capacité ; l’aide mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents. C’est ce supplément de force, de capacité et de
sécurité qui fait l’avantage de la société.
Mais, pour que se forme la société, il faut non seulement qu’elle soit avantageuse, mais encore que les hommes aient conscience de ces avantages ; or il est impossible que, dans leur condition sauvage et inculte, les hommes soient capables de parvenir à cette connaissance par la seule étude et la seule réflexion. C’est donc très heureusement que se joint à ces nécessités, dont les remèdes sont éloignés et cachés, une autre nécessité, dont le remède est sur place, très manifeste, et qui, par suite, peut être justement regardée comme le principe premier et initial de la société humaine. Cette nécessité n’est autre que l’appétit naturel d’un sexe pour l’autre, qui les unit l’un à l’autre et maintient leur union jusqu’à l’apparition d’un nouveau lien : le souci de leur progéniture commune. Ce nouvel intérêt devient également un principe d’union entre les parents et les enfants et il établit une société plus nombreuse où gouvernent les parents par l’avantage de leur supériorité en force et en sagesse et où, en même temps, l’exercice de leur autorité est limité par l’affection naturelle qu’ils portent à leurs enfants. En
99
P a r t i e 2 / Te x t e s peu de temps, la coutume et l’habitude agissent sur les tendres esprits des enfants, leur donnent conscience des avantages qu’ils peuvent retirer de la société et, en même temps, les adaptent graduellement à la société en limitant les angles rudes et les affections contraires qui s’opposent à leur union.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Le besoin que les hommes ont les uns des autres les condamne-t-il à la faiblesse ?
2 Quels obstacles la société permet-elle de vaincre ?
3 Est-ce la raison seule qui assure le maintien, la permanence de la vie sociale ?
Problématique 17 Le conflit met-il en danger la société ?
Kant
Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique
(1784), trad. J. Laffite, coll. « Les Intégrales de Philo », © Éditions
Nathan/HER, 2000, pp. 36-37.
L
e moyen dont se sert la nature pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions, est leur antagonisme dans la société, pour autant que celui-ci se révèle être cependant, en fin de compte, la cause d’un ordre légal de cette société.
J’entends ici par antagonisme l’insociable sociabilité des hommes, c’est-à-dire leur penchant à entrer en société, penchant lié toutefois à une répulsion générale à le faire, qui menace constamment de dissoudre cette société. Une telle disposition est très manifeste dans la nature humaine. L’homme possède une inclination à s’associer parce que, dans un tel état, il se sent davantage homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses dispositions naturelles. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer (s’isoler) : en effet il trouve en même temps en lui ce caractère insociable qui le pousse à vouloir tout régler à sa guise ; par suite il s’attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu’il se sait lui-même enclin de son côté à résister aux autres. Or, c’est cette résistance qui
éveille toutes les forces de l’homme, le porte à vaincre son penchant à la paresse et, sous l’impulsion de l’ambition, de la soif de dominer ou de la cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu’il ne peut souffrir mais dont il ne peut se passer. Or c’est là que s’effectuent les premiers véritables pas qui conduisent de la rudesse à la culture, laquelle réside à proprement parler dans la valeur sociale de l’homme. C’est alors que se développent peu à peu tous les talents, que se forme le goût et que, par le progrès continu des Lumières, commence à s’établir un mode de pensée qui peut, avec le temps, transformer la
100
P r o b l é m a t i q u e s 1 7 e t 1 8 grossière disposition au discernement moral en principe pratique déterminé, et finalement convertir l’accord pathologiquement extorqué pour l’établissement d’une société en un tout moral. Sans ces qualités en elles-mêmes fort peu aimables
d’insociabilité, d’où provient la résistance que chacun doit rencontrer nécessairement à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient éternellement cachés enfouis dans leurs germes, dans une vie de bergers d’Arcadie, dans une concorde, un contentement et un amour mutuels parfaits : les hommes doux comme des agneaux qui paissent n’accorderaient guère plus de valeur à leur existence que n’en a leur bétail ; ils ne combleraient pas le vide de la création, eu égard à sa finalité en tant que nature raisonnable. Que la nature soit donc remerciée pour ce caractère peu amène, pour cette vanité qui les entraîne dans une rivalité jalouse, pour ce désir insatiable de possession ou même de domination. Sans elle, toutes les excellentes dispositions naturelles qui sont dans l’humanité sommeilleraient
éternellement sans se développer.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 En quoi consiste l’insociabilité naturelle de l’homme ?
2 Pourquoi l’homme devient-il malgré tout sociable ?
3 Peut-on penser que, sans son insociabilité, l’homme serait parfait ?
Problématique
Nietzsche
Ainsi parlait
Zarathoustra
(1883-1885),
« De la nouvelle idole », trad.
H. Albert, révisée par J. Lacoste, in Œuvres, coll. « Bouquins »,
© Éditions Robert
Laffont, 1993, pp. 320-321.
18 Peut-on concevoir une société sans État ?
L’
État, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche :
« Moi, l’État, je suis le Peuple. »
C’est un mensonge ! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au-dessus des peuples une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie.
Ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent appétits.
Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’État et il le déteste comme le mauvais œil et une dérogation aux coutumes et aux lois.
Je vous donne ce signe : chaque peuple a son langage du bien et du mal ; son voisin ne le comprend pas. Il s’est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.
101
P a r t i e 2 / Te x t e s
Mais l’État ment dans toutes ses langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu’il dit, il ment –, et tout ce qu’il a, il l’a volé.
Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux.
Même ses entrailles sont falsifiées.
Une confusion des langues du bien et du mal, – je vous donne ce signe, comme le signe de l’État. En vérité, c’est la volonté de la mort qu’indique ce signe, il appelle les prédicateurs de la mort ! Beaucoup trop d’hommes viennent au monde : l’État a
été inventé pour ceux qui sont superflus !
Voyez donc comme il les attire, les superflus ! Comme il les enlace, comme il les mâche et les remâche !
« Il n’y a rien de plus grand que moi sur la terre : je suis le doigt ordonnateur de Dieu », – ainsi hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont de longues oreilles et la vue basse qui tombent à genoux !
Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il murmure ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se répandre !
Certes, il vous devine, vous aussi, vainqueurs du Dieu ancien !
Le combat vous a fatigués et maintenant votre fatigue se met au service de la nouvelle idole !
Elle voudrait placer autour d’elle des héros et des hommes honorables, la nouvelle idole ! Il aime à se chauffer au soleil de la bonne conscience, – le monstre froid !
Elle veut tout vous donner, si vous l’adorez, la nouvelle idole : ainsi elle s’achète l’éclat de votre vertu et le fier regard de vos yeux.
Vous devez lui servir d’appât pour les superflus ! Oui, c’est l’invention d’un tour infernal, d’un coursier de la mort, cliquetant dans la parure des honneurs divins !
Oui, c’est l’invention d’une mort pour le grand nombre, une mort qui se vante d’être la vie, une servitude selon le cœur de tous les prédicateurs de la mort !
L’État est partout où tous absorbent des poisons, les bons et les mauvais ; l’État, où tous se perdent eux-mêmes, les bons et les mauvais ; l’État, où le lent suicide de tous s’appelle – « la vie ». […]
Là où finit l’État, là seulement commence l’homme qui n’est pas superflu : là commence le chant du nécessaire, la mélodie unique, irremplaçable.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Par quels moyens l’État agit-il ?
2 En quoi l’État représente-t-il une « nouvelle idole » ?
3 Que serait une société sans État ?
102
P r o b l é m a t i q u e s 1 8 e t 1 9
Problématique 19 L’État est-il un mal nécessaire ?
Engels
L’Origine de la famille, de la propriété privée
et de l’État (1884), cité par Kostas
Papaioannou in Marx
et les marxistes,
© Éditions
Flammarion,
1972, pp. 95-96.
L’État n’est pas du tout un pouvoir imposé du dehors de la société ; il n’est pas davantage « la réalisation effective de l’idée morale »,
« l’image et la réalisation de la raison », comme le prétend Hegel.
Non, il est un produit de la société parvenue à un degré de développement déterminé ; il est l’aveu que cette société s’embarrasse dans une insoluble contradiction avec soi-même, s’étant scindée en antagonismes irréconciliables qu’elle est impuissante à conjurer. Mais afin que les classes antagonistes, aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en luttes stériles, il est devenu nécessaire qu’un pouvoir, placé en apparence au-dessus de la société, soit chargé d’amortir le conflit en le maintenant dans les limites de « l’ordre » : ce pouvoir, issu de la société, mais qui veut se placer au-dessus d’elle et s’en dégage de plus en plus, c’est l’État.
[…] L’État étant né du besoin de tenir en bride les antagonismes de classe, mais étant né en même temps au milieu du conflit de ces classes, il est en général l’État de la classe la plus puissante, de celle qui a la domination économique, laquelle, par son moyen, devient aussi classe politiquement dominante et ainsi acquiert de nouveaux moyens d’assujettir et d’exploiter la classe opprimée. C’est ainsi que l’État antique était avant tout l’État des propriétaires d’esclaves pour tenir ceux-ci sous le joug, de même que l’État féodal fut l’organe de la noblesse pour asservir les paysans serfs et vassaux, et que l’État représentatif moderne sert d’instrument à l’exploitation du travail salarié par le capital. Par exception cependant, il se produit des périodes où les classes en lutte sont si près de s’équilibrer que le pouvoir de l’État acquiert, comme médiateur en apparence, une certaine indépendance momentanée vis-à-vis de l’une et de l’autre ! […]
L’État n’existe donc pas de toute éternité. Il y a eu des sociétés qui se sont passées de lui, qui n’avaient aucune notion d’État ni de pouvoirs de l’État. […] La société qui réorganisera la production sur les bases d’une association libre et égalitaire des producteurs transportera toute la machine de l’État là où sera dorénavant sa place : au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Quelle est la fonction de l’État, selon Engels ?
2 Pourquoi l’État est-il un mal ?
3 Peut-on concevoir une société sans État ?
103
P a r t i e 2 / Te x t e s
Problématique
Hobbes
Léviathan (1651), trad. F. Tricaud,
© Éditions Sirey,
1971, pp. 177-178.
20 L’État résulte-t-il d’un compromis social ?
L’
accord de ces créatures [dénuées de raison] est naturel, alors que celui des hommes, venant seulement des conventions, est artificiel : aussi n’est-il pas étonnant qu’il faille quelque chose d’autre, en sus de la convention, pour rendre leur accord constant et durable ; cette autre chose est un pouvoir commun qui les tienne en respect et dirige leurs actions en vue de l’avantage commun.
La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers, et des torts qu’ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c’est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté. Cela revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée, pour assumer leur personnalité ; et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assumé leur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement de cet homme ou de cette assemblée. Cela va plus loin que le consensus ou la concorde : il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui
abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses
actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une RÉPUBLIQUE, en latin CIVI-
TAS. Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt, pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection. Car en vertu de cette autorité qu’il a reçue de chaque individu de la République, l’emploi lui est conféré d’un tel pouvoir et d’une telle force, que l’effroi qu’ils inspirent lui permet de modeler les volontés de tous, en vue de la paix à l’intérieur et de l’aide mutuelle contre les ennemis de l’extérieur.
104
P r o b l é m a t i q u e s 2 0 e t 2 1
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 De simples conventions sont-elles suffisantes pour vivre en paix ?
2 Quel est le prix à payer pour vivre en société ?
3 Pourquoi évoquer l’image d’un monstre : le Léviathan ?
Problématique
Hobbes
Le Corps politique
(1650), trad. S. Sorbière,
Publications de l’Université de Saint-Étienne,
1977, pp. 63-64 et 78-81.
21 L’État doit-il se soumettre au peuple ?
E
nfin de ce que chaque particulier a soumis sa volonté à la volonté de celui qui possède la puissance souveraine dans l’État, en sorte qu’il ne peut employer contre lui ses forces, il s’ensuit que le Souverain doit être injusticiable, c’est-à-dire avoir impunité de tout ce qu’il entreprend.
Or tous les droits de la puissance Souveraine, à savoir de se servir quand bon lui semble tant de l’épée de justice que de celle de la guerre, d’établir ou abolir les Lois, juger les procès, punir les crimes, choisir tous les officiers et magistrats, font que la puissance Souveraine n’est pas moins absolue dans l’État, après l’établissement de la République, que celle qu’un chacun avait auparavant de faire ou de ne pas faire selon sa fantaisie et son plaisir. Et voilà ce que quelques-uns, qui n’ont pas expérimenté les misères et le déplorable état auquel les hommes sont réduits par une longue guerre, trouvent dur et si fâcheux, qu’ils ne peuvent pas se résoudre à embrasser les conditions et faire les pactes, et les soumissions que nous avons démontré être nécessaires pour avoir la paix. C’est pourquoi il y en a qui se sont imaginé que l’on pouvait établir une République en telle façon que la puissance Souveraine serait limitée et aurait les bornes qu’on s’accorderait de lui donner. Et voici comme ils en bâtissent l’idée. Ils supposent que plusieurs personnes s’étant accordées sur quelques articles, à qui elles donnent l’autorité de faire des Lois, elles arrêtent entre elles la façon dont elles veulent être gouvernées. Cela étant, disent-ils, qu’elles choisissent par un commun consentement, un homme ou un nombre de personnes qui aient le soin de voir que ces articles soient mis en exécution. […]
Mais, après l’élection du Monarque, si le peuple détient toujours la puissance, alors c’est le peuple qui a l’autorité Souveraine, et le roi n’en est que le ministre, pour mettre cette Souveraineté en exécution. […] Or il est à croire que quand quelqu’un reçoit
105
P a r t i e 2 / Te x t e s quelque chose de l’autorité du peuple, il ne le reçoit pas du peuple comme de ses sujets, mais du peuple comme de son
Souverain. Davantage, quoi qu’en l’élection d’un roi le peuple lui mette entre les mains l’administration de l’autorité publique, néanmoins le peuple la peut révoquer quand bon lui semble, ou lorsqu’il juge qu’il y a cause de le faire. […] Car la puissance
Souveraine ne peut par aucun pacte avec un sujet s’être obligée
à lui continuer sa charge, laquelle il a reçue, comme un fardeau qui lui a été mis sur les épaules, non pas pour son bien parti culier, mais pour le bien du Souverain peuple.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Quel pouvoir doit-on reconnaître au Souverain ?
2 Quel autre type de régime a-t-on imaginé ?
3 Pourquoi le pouvoir du Souverain ne doit-il pas être soumis au peuple ?
Problématique 22 L’État doit-il se conformer au droit ?
Platon
Politique (
IV e s. av. J.-C.), trad. É. Chambry,
© Éditions
GF-Flammarion, 1969, pp. 229-231.
L’
Étrange. – Si après avoir édicté des lois écrites ou non écrites sur le juste et l’injuste, le beau et le laid, le bien et le mal, pour les troupeaux d’hommes qui se gouvernent dans leurs cités respectives conformément aux lois écrites, si, dis-je, celui qui a formulé ces lois avec art, ou tout autre pareil à lui se représente un jour, il lui serait interdit de les remplacer par d’autres ! Est-ce qu’une telle interdiction ne paraîtrait pas réellement tout aussi ridicule dans ce cas que dans l’autre ? […]
Si un médecin qui entend bien son métier, au lieu d’user de persuasion, contraint son malade, enfant ou homme fait, ou femme, à suivre un meilleur traitement, en dépit des préceptes
écrits, quel nom donnera-t-on à une telle violence ? Tout autre nom, n’est-ce pas ? que celui dont on appelle la faute contre l’art, l’erreur fatale à la santé. Et le patient ainsi traité aurait le droit de tout dire sur son cas, sauf qu’il a été soumis par les médecins qui lui ont fait violence à un traitement nuisible à sa santé et contraire à l’art. […]
Mais qu’est-ce que nous appelons erreur dans l’art politique ?
N’est-ce pas la malhonnêteté, la méchanceté et l’injustice ? […]
Or, quand on a été contraint de faire contre les lois écrites et l’usage traditionnel des choses plus justes, meilleures et plus belles qu’auparavant, voyons, si l’on blâme cet usage de la
106
P r o b l é m a t i q u e s 2 2 e t 2 3 force, ne sera-t-on pas toujours, à moins qu’on ne veuille se rendre absolument ridicule, autorisé à tout dire plutôt que de prétendre que les victimes de ces violences ont subi des traitements honteux, injustes, mauvais ? […]
Mais faut-il dire que la violence est juste, si son auteur est riche, et injuste s’il est pauvre ? Ne faut-il pas plutôt, lorsqu’un homme, qu’il ait ou n’ait pas persuadé les citoyens, qu’il soit riche ou qu’il soit pauvre, qu’il agisse suivant ou contre les lois
écrites, fait des choses utiles, voir en cela le critère le plus sûr d’une juste administration de l’État, critère d’après lequel l’homme sage et bon administrera les affaires de ses sujets ? De même que le pilote, toujours attentif au bien du vaisseau et des matelots, sans écrire un code, mais en prenant son art pour loi, sauve ses compagnons de voyage, ainsi et de la même façon des hommes capables de gouverner d’après ce principe pourraient réaliser une constitution droite, en donnant à leur art une force supérieure à celle des lois. Enfin, quoi qu’ils fassent, les chefs sensés ne commettent pas d’erreur, tant qu’ils observent cette grande et unique règle, de dispenser toujours avec intelligence et science aux membres de l’État la justice la plus parfaite, et, tant qu’ils sont capables de les sauver et de les rendre, autant que possible, meilleurs qu’ils n’étaient.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 L’homme politique peut-il transgresser la loi ?
2 Qu’est-ce qui détermine le caractère légitime d’un acte politique ?
3 En quoi le « pilotage » nous éclaire-t-il sur l’art politique ?
Problématique 23 L’État doit-il surveiller ou diriger ?
Hayek
La Route
de la servitude (1946), trad. G. Blumberg, coll. « Quadriges »,
© PUF, 2 e
éd. 1993, p. 33.
L
e libéralisme veut qu’on fasse le meilleur usage possible des forces de la concurrence en tant que moyen de coordonner les efforts humains ; il ne veut pas qu’on laisse les choses en l’état où elles sont. Le libéralisme est basé sur la conviction que la concurrence est le meilleur moyen de guider les efforts individuels. Il ne nie pas, mais souligne au contraire que pour que la concurrence puisse jouer un rôle bienfaisant, une armature juridique soigneusement conçue est nécessaire ; il admet que les lois passées et présentes ont de graves défauts. Il ne nie pas non
107
P a r t i e 2 / Te x t e s plus que partout où il est impossible de rendre la concurrence efficace, il nous faut recourir à d’autres méthodes pour guider l’activité économique. Toutefois le libéralisme économique est opposé au remplacement de la concurrence par des méthodes inférieures de coordination des efforts humains. Il considère la concurrence comme supérieure non seulement parce qu’elle est dans la plupart des circonstances la méthode la plus efficace qu’on connaisse, mais plus encore parce qu’elle est la seule méthode qui permette d’ajuster nos activités les unes aux autres sans intervention arbitraire ou coercitive de l’autorité. En vérité, un des arguments principaux en faveur de la concurrence est qu’elle permet de se passer de « contrôle social conscient » et qu’elle donne aux individus une chance de décider si les perspectives d’un métier donné sont suffisantes pour compenser les désavantages et les risques qu’il comporte […].
Il est nécessaire avant tout que, sur le marché, les parties soient libres d’acheter ou de vendre au prix, quel qu’il soit, auquel elles peuvent trouver une contrepartie, et que chacun soit libre de produire, de vendre et d’acheter tout ce qui est susceptible d’être produit ou vendu. Il est essentiel que l’accès des divers métiers soit ouvert à tous aux mêmes conditions, et que la loi interdise à tout groupement et à tout individu de tenter de s’y opposer par la force, ouvertement ou non. Tout essai de contrôle des prix ou des quantités de certaines marchandises prive la concurrence de son pouvoir de coordonner efficacement les efforts individuels, parce que les variations des prix cessent alors d’enregistrer toutes les modifications des circonstances, et ne fournissent plus un guide sûr à l’action individuelle.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Quelle fausse conception du libéralisme est ici dénoncée ?
2 Quels sont les deux avantages du libéralisme ?
3 Quels sont les inconvénients d’une économie trop dirigée ?
108
P r o b l é m a t i q u e s 2 3 e t 2 4
Problématique 24 La violence est-elle nécessaire à l’État ?
Weber
Le Savant
et le Politique, 1921
(posthume), trad. J. Freund,
© Éditions Plon,
1959, pp. 112-113.
M
ais qu’est-ce donc qu’un groupement « politique » du point de vue du sociologue ? Qu’est-ce qu’un État ? Lui non plus ne se laisse pas définir sociologiquement par le contenu de ce qu’il fait. Il n’existe en effet presque aucune tâche dont ne se soit pas occupé un jour un groupement politique quelconque ; d’un autre côté il n’existe pas non plus de tâches dont on puisse dire qu’elles aient de tout temps, du moins exclusivement, appartenu en propre aux groupements politiques que nous appelons aujourd’hui États ou qui ont été historiquement les précurseurs de l’État moderne. Celui-ci ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen spécifique qui lui est propre, ainsi qu’à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique.
« Tout État est fondé sur la force », disait un jour Trotski à Brest-
Litovsk. En effet, cela est vrai. S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’« anarchie ». La violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’État, cela ne fait aucun doute, mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime.
Depuis toujours les groupements politiques les plus divers – à commencer par la parentèle – ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé – la notion de territoire étant une de ses caractéristiques –, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c’est qu’elle n’accorde à tous les autres groupements ou aux individus le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’État le tolère : celui-ci passe donc pour l’unique source du « droit » à la violence.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Par quoi faut-il définir l’État ?
2 Pourquoi la violence de l’État est-elle nécessaire ?
3 Qu’est-ce qui rend cette violence légitime ?
109
P a r t i e 2 / Te x t e s
Problématique
Hume
Discours politiques
(1752), trad. F. Grandjean,
Essai XII :
« Du contrat originel »,
© Éditions T.E.R.,
1993. pp. 192-196-197.
25 L’existence de l’État échappe-t-elle
à toute justification ?
P
rêcheriez-vous, dans la plupart des pays du monde, que les relations politiques sont fondées dans leur ensemble sur le consentement volontaire ou sur une promesse mutuelle, que le magistrat vous ferait emprisonner sur l’heure comme séditieux pour avoir défait les liens de l’obéissance ; à moins que vos amis ne vous aient d’abord fait enfermer comme un fou délirant pour avoir avancé de telles absurdités. […]
Mon intention n’est pas ici de nier que le consentement populaire, lorsqu’il a lieu, soit une façon légitime de fonder le gouvernement. Il est sûrement le fondement le meilleur et le plus sacré de tous. Je prétends seulement qu’il n’a que fort rarement eu lieu, même à un faible degré, et presque jamais dans sa pleine extension ; et qu’il faut bien, par conséquent, reconnaître aussi quelque autre façon de fonder le gouvernement. […]
La raison, l’histoire et l’expérience nous ont appris que toutes les sociétés politiques ont eu une origine beaucoup moins exacte et beaucoup moins régulière ; et s’il fallait choisir une période durant laquelle on a le moins tenu compte du consentement du peuple dans les affaires publiques, ce serait précisément celle d’un changement de régime. Sous une constitution solidement
établie, il est fréquent que l’on consulte le peuple sur ses préférences ; mais tant que dure la fureur des révolutions, des conquêtes et des convulsions publiques, c’est d’ordinaire la force militaire ou l’habileté politique qui tranche le débat.
Quand un nouveau régime est institué, par quelque moyen que ce soit, les gens en sont d’habitude mécontents, et s’ils lui prêtent obéissance, c’est par crainte et par nécessité plutôt que par aucune idée d’allégeance ou d’obligation morale. […]
Dira-t-on que, en vivant sous la domination d’un prince qu’il pourrait quitter, tout individu a donné à l’autorité de celui-ci son consentement tacite et lui a promis obéissance ? On peut répondre à cela qu’un tel consentement implicite ne peut avoir lieu que là où un homme imagine que la question dépend de son choix. Mais là où il pense (comme font tous les hommes qui sont nés sous un gouvernement établi) que, par sa naissance, il doit allégeance à un certain prince ou à une certaine forme de gouvernement, il sera absurde d’en inférer un consentement ou un choix que, dans ce cas, il dénonce et renie expressément.
Pouvons-nous dire sérieusement qu’un pauvre paysan, ou un pauvre artisan, possède la liberté de choisir de quitter son pays,
110
P r o b l é m a t i q u e s 2 5 e t 2 6 alors qu’il ne connaît aucune langue étrangère, ni les coutumes des autres peuples, et qu’il vit au jour le jour de son maigre salaire ? À ce compte, nous pourrions aussi bien soutenir qu’un homme sur un navire, puisqu’il reste à bord, consent librement
à l’autorité du commandant ; quand bien même on l’aurait amené là au cours de son sommeil et que s’il quittait le bord en sautant à la mer, il périrait à l’instant.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Que peut-on objecter à l’idée d’un contrat comme fondant l’obéissance au pouvoir d’État ?
2 Quand tient-on compte de l’avis du peuple ?
3 L’acceptation d’un pouvoir équivaut-elle à un consentement tacite ?
Problématique
Spinoza
Traité théologico-
politique (1670), trad. J. Lagrée et P.F. Moreau, coll. « Classiques »,
© Éditions Hachette,
1996, pp. 76-77.
26 L’État est-il une fin en soi ?
B
ien que le souverain ait droit sur toute chose, […] il ne peut cependant jamais empêcher que les hommes ne jugent de toutes choses selon leur propre complexion et ne soient dans cette mesure affectés de tel ou tel sentiment. Il est vrai qu’il peut tenir à bon droit pour ennemis tous ceux qui ne pensent pas absolument comme lui sur toutes choses, mais quant à nous, nous discutons non de son droit, mais de son intérêt. J’admets qu’il a le droit de régner avec la dernière violence, et d’envoyer les citoyens à la mort pour les motifs les plus faibles ; mais nul ne croira que cela puisse se faire selon le jugement de la saine raison. […]
Si personne ne peut abandonner la liberté de juger et de penser ce qu’il veut, si chacun est, au contraire, maître de ses pensées par le haut droit de la nature, il s’ensuit que dans aucune république on ne peut tenter (si ce n’est d’une façon totalement vouée à l’échec) d’obtenir que les hommes parlent selon le commandement du souverain, si divergentes et opposées que soient leurs opinions […]. Certes on ne peut nier que la majesté peut être offensée autant par des paroles que par des actes et que, s’il est impossible de retirer complètement cette liberté aux sujets, il est nuisible de la leur accorder totalement. C’est pourquoi il faut rechercher jusqu’où cette liberté peut et doit être accordée, tout en maintenant la paix de la république et le droit du souverain. […]
111
P a r t i e 2 / Te x t e s
Des fondements de la république […], il suit, avec la dernière
évidence, que sa fin ultime consiste non pas à dominer les hommes, à les contenir par la crainte et à les soumettre au droit d’autrui, mais, au contraire, à libérer chacun de la crainte pour qu’il vive en sécurité autant que faire se peut, c’est-à-dire qu’il préserve le mieux possible son droit naturel à exister et à agir sans danger pour lui-même ni pour autrui. Non, dis-je, la fin de la république ne consiste pas à transformer les hommes d’êtres rationnels en bêtes ou en automates. Elle consiste, au contraire,
à ce que leur esprit et leur corps accomplissent en sécurité leurs fonctions, et qu’eux-mêmes utilisent la libre raison, sans rivaliser de haine, de colère, et de ruse, et sans s’affronter dans un esprit d’injustice. Donc, la fin de la république, c’est en fait la liberté.
Avez-vous compris l’essentiel ?
1 Quelle est la limite du pouvoir de l’État ?
2 La liberté est-elle une menace pour l’État ?
3 La paix et la sécurité sont-elles nécessaires à l’État ?
112
Liste des problématiques
Les problématiques apparaissent dans plusieurs dialogues et sont illustrées par un texte portant le même numéro que la problématique.
Ne l’oublions pas, ces problématiques se recoupent parfois. Elles peuvent donc se remplacer les unes les autres, ou se cumuler en une même proposition.
1 La société se confond-elle avec la communauté ?
• Dialogues 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8 • Texte : Weil
2 L’intérêt est-il le fondement premier de la société ?
• Dialogues 1, 2, 3, 4, 5, 8 • Texte : Mill
3 L’État est-il au service de l’individu ?
• Dialogues 1, 4, 5, 6, 7 • Texte : Bakounine
4 Une société doit-elle exclure pour exister ?
• Dialogues 1, 2, 3, 5, 8 • Texte : Freud
5 L’égalité est-elle possible en société ?
• Dialogues 1, 2, 8 • Texte : Rawls
6 L’État doit-il obéir à la morale ?
• Dialogues 1, 4, 6, 7 • Texte : Machiavel
7 L’État représente-t-il l’aboutissement historique de la vie en société ?
• Dialogues 1, 4, 5, 6, 7 • Texte : Hegel
8 Une société a-t-elle nécessairement une finalité ?
• Dialogues 1, 3, 4, 6, 7, 8 • Texte : Rousseau
9 Le droit de propriété est-il une entrave à la vie en société ?
• Dialogues 1, 3, 5, 6, 8 • Texte : Locke
10 L’homme est-il fait pour vivre en société ?
• Dialogues 1, 2, 3, 6, 8 • Texte : Aristote
11 La liberté individuelle est-elle compatible avec la vie en société ?
• Dialogues 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8 • Texte : Smith
12 La société représente-t-elle l’aliénation de l’individu ?
• Dialogues 1, 2, 3, 4, 6, 8 • Texte : Marx et Engels
13 La société repose-t-elle sur des conventions arbitraires ?
• Dialogues 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8 • Texte : Marx
14 La société a-t-elle nécessairement raison contre l’individu ?
• Dialogues 1, 2, 3, 6, 7, 8 • Texte : Aristote
113
15 Toute société engendre-t-elle le conformisme ?
• Dialogues 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8 • Texte : Arendt
16 La société améliore-t-elle l’être humain ?
• Dialogues 1, 2, 3, 6, 8 • Texte : Hume
17 Le conflit met-il en danger la société ?
• Dialogues 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 • Texte : Kant
18 Peut-on concevoir une société sans État ?
• Dialogues 4, 5, 6, 7 • Texte : Nietzsche
19 L’État est-il un mal nécessaire ?
• Dialogues 4, 5, 6, 7 • Texte : Engels
20 L’État résulte-t-il d’un compromis social ?
• Dialogues 4, 5, 7 • Texte : Hobbes
21 L’État doit-il se soumettre au peuple ?
• Dialogues 4, 6, 7 • Texte : Hobbes
22 L’État doit-il se conformer au droit ?
• Dialogues 4, 5, 7 • Texte : Platon
23 L’État doit-il surveiller ou diriger ?
• Dialogues 4, 5, 7, 8 • Texte : Hayek
24 La violence est-elle nécessaire à l’État ?
• Dialogues 4, 5, 6, 7 • Texte : Weber
25 L’existence de l’État échappe-t-elle à toute justification ?
• Dialogues 4, 5, 7 • Texte : Hume
26 L’État est-il une fin en soi ?
• Dialogues 4, 5, 6 • Texte : Spinoza
114
Liste des remarques méthodologiques
Deux catégories de remarques méthodologiques sont utilisées au fil des dialogues : obstacle et résolution. Les différents obstacles ou résolutions établis sont parfois assez proches les uns des autres. Ils se recoupent, et peuvent donc se remplacer ou se cumuler en un même endroit.
Obstacles
1
Glissement de sens : dialogues 2, 6, 7, 8
Transformation d’une proposition ou d’une idée, s’effectuant subrepticement et insensiblement, par la conversion de cette idée ou de cette proposition en une formulation voisine proche, mais de sens substantiellement différent.
Exemple : transformer la proposition « Il n’a jamais existé de société sans État » en « L’État est nécessaire à la société ». La seconde proposition implique que l’État est indispensable
à la société, présupposé que ne contient pas nécessairement la première.
(Voir Précipitation, Emportement émotionnel)
2
Indétermination du relatif : dialogues 1, 3, 4, 6
Refus de répondre, d’expliquer une idée ou de mettre à l’épreuve son sens, en invoquant la multiplicité indéterminée des points de vue subjectifs possibles, fréquemment induits par « ça dépend », « c’est selon », « c’est plus compiqué que cela »...
Exemple : à la question « L’État est-il nécessaire ? », répondre simplement que cela dépend des opinions politiques de chacun et du point de vue d’où l’on se place.
(Voir Concept indifférencié)
3
Fausse évidence : dialogues 3, 7
Fait de considérer comme indiscutable un lieu commun, un propos banal, justifié d’emblée par son apparente évidence, laquelle relève en fait de la prévention, du préjugé ou de l’absence de pensée.
Exemple : prendre d’emblée pour acquis la proposition suivante : « Les hommes s’agressent entre eux en permanence. » On pourrait se demander alors pourquoi l’homme vit en société.
(Voir Certitude dogmatique, Alibi du nombre, Emportement émotionnel, Opinion reçue)
4
Certitude dogmatique : dialogues 2, 4, 6, 8
Attitude de l’esprit qui juge incontestable une idée particulière et se contente de l’énoncer hâtivement, voire de la réitérer, sans chercher à la justifier, sans en creuser les présupposés et les conséquences, sans tenter de la mettre à l’épreuve, ni envisager une hypothèse contraire. Défaut de la pensée qui enraye toute possibilité de problématique.
115
Exemple : affirmer que « La société rend l’homme mauvais » sans envisager en quoi « La société est facteur de civilisation ».
(Voir Emportement émotionnel, Fausse évidence, Opinion reçue, Idée réductrice)
5
Alibi du nombre : dialogues 1, 4, 5, 8
Allégation d’une prétendue multiplicité dont l’invocation est censée confirmer indubitablement une proposition exprimée au préalable.
Exemple : « Aujourd’hui, tout le monde est d’accord : l’État est un concept dépassé. » Le nombre, dans sa généralité, ne prouve rien en soi, sauf explicitation ou justification.
(Voir Certitude dogmatique, Fausse évidence, Opinion reçue)
6
Opinion reçue : dialogues 1, 2, 3
Fait d’admettre une idée ou une proposition pour la seule raison qu’elle serait validée par l’autorité de la tradition, d’une habitude, du milieu social, d’un spécialiste, reconnu ou non, ou par l’évidence d’une quelconque « nature éternelle ».
Exemple : affirmer la proposition « Il ne peut y avoir de société sans État » en la justifiant par les expressions suivantes : « L’histoire nous prouve que… », « Depuis l’Antiquité les hommes savent que… », « Le philosophe untel dit que… » ou bien « La société est fondée sur l’idée que… », en guise de toute explication.
(Voir Alibi du nombre, Certitude dogmatique, Emportement émotionnel, Fausse évidence,
Idée réductrice, Précipitation)
7
Précipitation : dialogues 1, 4, 5, 7
Attitude consistant à formuler une réponse hâtive, voire peu claire, sans avoir au préalable pris la peine d’identifier les divers facteurs pouvant intervenir dans la résolution de la question à traiter. Entraîne un risque de confusion et de contresens.
Exemple : à la question « L’État est-il nécessaire à la société ? », répondre « Il existe différentes sortes d’État », sans prendre le temps de se demander en quoi l’État serait ou non une nécessité, en quoi sa multiplicité répondrait à la question.
(Voir Glissement de sens, Certitude dogmatique, Emportement émotionnel)
8
Emportement émotionnel : dialogues 2, 3, 4, 7, 8
Moment de la réflexion où nos convictions nous conduisent à refuser l’analyse et la mise à l’épreuve de nos propos, afin de poursuivre notre discours sans envisager d’autres possibilités de sens.
Exemple : lorsque je soutiens l’idée « La société rend l’homme mauvais » et que, lancé dans mon discours, je ne réponds pas à l’objection suivante : « L’homme en société se civilise car il apprend à vivre avec les autres ». Soit parce que je refuse de répondre aux objections qui me sont faites, soit parce que je ne prends pas le temps de formuler moi-même de telles objections.
(Voir Certitude dogmatique, Concept indifférencié, Idée réductrice, Fausse évidence, Idée
réductrice)
116
9
Exemple inexpliqué : dialogues 1, 2, 3, 5, 6
Utilisation abusive d’un exemple consistant à considérer que sa seule formulation sous forme narrative ou même sa simple évocation suffit à justifier une idée ou une thèse, sans que soit fournie l’analyse qui permettrait de démontrer l’intérêt et la portée de l’exemple en question.
Exemple : lorsque pour défendre l’idée que « L’État empiète sur les libertés individuelles », je mentionne en guise d’exemple le communisme, sans autre forme d’explication.
(Voir Concept indifférencié, Fausse évidence, Idée réductrice)
10
Concept indifférencié : dialogues 1, 2, 5, 7, 8
Utilisation imprécise et tronquée d’un concept, ayant pour conséquence
d’engendrer une proposition qui n’est pas poussée jusqu’au bout, à la fois dans l’exploration de ses présupposés implicites et dans l’analyse de ses diverses conséquences possibles. La position adoptée n’est donc pas assumée dans sa logique argumentative complète.
Exemple : « Il n’y a pas de société sans État. » Mais le terme État renvoie-t-il ici à un gouvernement, à un chef, à une justice, à une administration ? La proposition varie énormément selon les diverses interprétations attendues, produisant différents sens qui peuvent radicalement s’opposer.
(Voir Certitude dogmatique, Précipitation)
11
Idée réductrice : dialogues 3, 5, 7
Fait de choisir arbitrairement et de défendre un point de vue unique, qui s’avère incapable de prendre en compte l’ensemble des données d’une question ou d’un concept, en l’amputant ainsi de ses véritables enjeux. Justification d’une idée particulière, mais absence de position critique.
Exemple : à la question « La société rend-elle l’homme mauvais ? », répondre oui et travailler uniquement à l’élaboration de ce point de vue, sans évoquer en quoi cette position borne la réflexion.
(Voir Certitude dogmatique, Emportement émotionnel, Fausse évidence, Opinion reçue)
12
Incertitude paralysante : dialogues 1, 4, 6
Attitude de l’esprit inhibé dans la progression de sa réflexion, parce que deux ou plusieurs options contradictoires se présentent à lui, sans qu’aucune ne réussisse d’emblée à emporter son adhésion, et sans qu’il ose se risquer à une analyse des thèses en présence ou à articuler une problématique.
Exemple : énoncer premièrement l’idée que « La société est facteur d’émancipation pour l’individu », énoncer plus tard que « La société induit toujours le conformisme », puis simplement dire que l’on hésite entre les deux propositions, pour en conclure que le problème est difficile et que l’on ne peut pas trancher.
(Voir Concept indifférencié, Difficulté à problématiser)
117
13
Illusion de synthèse : dialogues 2, 3, 4, 7
Refus de considérer séparément deux ou plusieurs composantes d’une idée en les maintenant dans une unité factice, ce qui empêche d’évaluer adéquatement la dimension conflictuelle et de formuler une problématique prenant en charge ces divers aspects. Résolution superficielle d’une contradiction.
Exemple : la proposition : « Dans la société, la liberté et la contrainte vont ensemble. » Il s’agit ici d’expliquer en quoi l’une et l’autre peuvent concorder, mais aussi en quoi elles peuvent être en contradiction.
(Voir Difficulté à problématiser, Perte de l’unité)
14
Perte de l’unité : dialogues 1, 3, 5
Oubli du lien entre les différents éléments constitutifs d’une réflexion, au profit d’une approche parcellaire et pointilliste et au détriment d’une prise en considération de l’unité d’ensemble du propos. Rupture de cohérence dans un développement d’idées.
Exemple : pour répondre à la question « La société est-elle facteur d’émancipation pour l’homme ? », traiter l’aspect juridique et moral, voire élaborer une problématique à ce propos, puis aborder l’angle intellectuel de la question sans se soucier de relier ce nouvel aspect au travail déjà effectué.
(Voir Difficulté à problématiser, Illusion de synthèse, Idée réductrice)
15
Paralogisme : dialogues 6, 7
Transgression, au cours d’une argumentation, des règles de base de la logique, sans prise de conscience ni justification de cette transgression.
Exemple : affirmer : « Ce qui est valable pour un individu l’est pour la société » sans montrer ou justifier pourquoi dans ce cas le particulier peut être d’office généralisé, opération qui en soi est contraire aux lois de la logique.
(Voir Fausse évidence)
16
Difficulté à problématiser : dialogues 1, 4, 7
Insuffisance d’une réflexion qui, lorsqu’elle rencontre deux ou plusieurs propositions contradictoires sur un sujet donné, hésite ou se refuse à les articuler ensemble. Elle oscille dès lors entre l’une et l’autre, voire simplement les accole, sans chercher à les traiter et à les relier véritablement en produisant une problématique.
Exemple : deux propositions sont énoncées en deux moments distincts : « La société est facteur d’émancipation pour l’homme » et « Toute société induit le conformisme ». Elles sont énoncées tour à tour, ou accolées, et l’on conclut simplement à une impossibilité de trancher, sans les articuler ensemble, entre autres sous la forme d’une problématique, ce qui permettrait de vérifier sur quelle notion pivote l’opposition entre les deux propositions.
Ainsi l’on pourrait proposer la formulation suivante : « La société libère l’homme des contraintes de la nature grâce à la répartition des tâches, mais elle induit le conformisme de comportement et de pensée comme moyen d’éviter le conflit. »
(Voir Illusion de synthèse, Idée réductrice)
118
Résolutions
1
Suspension du jugement : dialogues 3, 4, 6
Mise de côté temporaire de tout parti pris, afin d’énoncer et d’étudier les diverses possibilités de lecture d’une thèse ou d’une problématique.
Exemple : même si l’on pense que « La société induit le conformisme », suspendre sa conviction afin d’étudier et de problématiser la question.
(Voir Position critique, Penser l’impensable)
2
Achèvement d’une idée : dialogues 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8
Étude et prise en charge des éléments importants d’une thèse, reconnaissance de ses présupposés ou de ses conséquences, explication de ses différents sens ou nuances.
Exemple : si l’on énonce l’idée « La société libère l’homme », montrer les différents sens de la « liberté », comme relevant du politique, de la morale, du juridique ou de l’économique, ou bien opter pour un de ces sens, en le précisant et en explicitant ses conséquences.
(Voir Problématique accomplie, Introduction d’un concept opératoire)
3
Position critique : dialogues 2, 3, 4, 6, 7
Soumettre à des questions ou à des objections une thèse, afin de l’analyser et de vérifier ses limites, ce qui permet de préciser son contenu, d’approfondir la compréhension de ses présupposés et de ses conséquences, et d’articuler une problématique.
Exemple : si l’on énonce l’idée « La société rend l’homme meilleur », objecter que la société peut représenter une négation du singulier, une négation de la nature, une négation de la subjectivité, et répondre à ces objections.
(Voir Suspension du jugement, Penser l’impensable)
4
Penser l’impensable : dialogues 2, 5, 7, 8
Imaginer et formuler une hypothèse, en analyser les implications et les conséquences, même si nos convictions a priori et notre raisonnement initial semblent se refuser à cette possibilité. Accepter une hypothèse qui s’impose à nous par la démonstration, même si intuitivement elle nous semble inacceptable.
Exemple : si l’hypothèse de départ est l’idée que « La société libère l’être humain », affirmer la position inverse : « La société aliène l’être humain », et tenter de la justifier.
(Voir Suspension du jugement, Position critique)
5
Exemple analysé : dialogues 3, 5, 7, 8
Citer ou inventer, puis expliquer un exemple mettant en situation une problématique ou un concept, afin de les étudier, de les expliquer ou d’en vérifier la validité.
Exemple : si l’on veut défendre l’idée que « L’État est une institution aliénante », on peut citer l’exemple d’une dictature, et montrer comment le bien public peut servir de justifica-
119
tion à l’imposition d’une volonté particulière, d’une direction arbitraire ou d’une pensée toute faite, au détriment des libertés individuelles.
(Voir Achèvement d’une idée, Introduction d’un concept opératoire)
6
Introduction d’un concept opératoire : dialogues 1, 2, 4, 6, 7
Introduction dans la réflexion d’une nouvelle notion ou idée permettant d’articuler une problématique ou d’éclairer le traitement d’une question.
Le rôle de ce concept est d’éviter tout relativisme vide de sens, comme « ça dépend », d’éclaircir les hypothèses, et d’établir des liens entre les idées.
Exemple : pour justifier l’idée « La société libère l’homme », introduire le concept de
« culture » et l’expliciter.
(Voir Achèvement d’une idée, Problématique accomplie)
7
Problématique accomplie : dialogues 1, 2, 3, 4, 6, 8
Mise en rapport concise de deux ou plusieurs propositions distinctes ou contradictoires sur un même sujet, afin d’articuler une problématique ou de faire émerger un concept. La problématique peut prendre soit la forme d’une question, soit celle d’une proposition exprimant un problème, un paradoxe ou une contradiction.
Exemple : pour traiter la question de la société, formuler deux propositions contradictoires :
« L’homme est par nature un être social » et « L’homme ne cherche que son intérêt particulier », puis articuler une problématique sous forme de question : « L’intérêt particulier passe-t-il nécessairement par la vie en société ? », ou sous forme d’affirmation : « Le rapport à l’autre représente pour chaque homme le moyen indispensable de satisfaire ses intérêts particuliers. »
(Voir Achèvement d’une idée, Introduction d’un concept opératoire)
120
Index des notions-outils
Les numéros renvoient aux dialogues.
Les notions-outils sont généralement présentées en relation avec d’autres notions-outils de nature contraire ou voisine, afin de les mettre en valeur et d’en préciser le sens et l’utilisation.
Analyse (8)
Anarchie (6)
Argument (2)
Besoin (1)
Bonheur (1)
Civilisation (8)
Collectif (6)
Collectivisme (6)
Communauté (8)
Concept (7)
Concurrence (5)
Conditionnement(3)
Conformisme (3)
Conscience (3)
Contradiction (1)
Contrainte (6)
Contrat (8)
Convention (8)
Culture (6)
Définition (3)
Démocratie (4)
Despotisme (4)
Dialectique (8)
Dictature (4)
Différence (2)
Discuter (1)
Disputer (1)
Doute (5)
Éducation (8)
Égalité (4)
Égoïsme (5) ou (7)
État (4)
Évolution (7)
Majorité (1)
Mal (2)
Morale (4)
Réel (5)
Réflexion (3)
Règle (2)
Relatif (2)
Relativisme (2)
République (5)
Respect (7)
Nation (4)
Nature (6)
Famille (1)
Force (6)
Général (2)
Guerre (5)
Objectif (7)
Obligation (2)
Opinion (7)
Opposition (7)
Sociabilité (1)
Société (3)
Solitude (1)
Subjectif (7)
Synthèse (8)
Hypothèse (2)
Idéalisme (5)
Idée (7)
Illusion (3)
Individu (4)
Individualisme (6)
Inégalité (4)
Isolement (1)
Particulier (2)
Personne (4)
Pouvoir (6)
Pragmatisme (5)
Preuve (2)
Principe (8)
Privatiser (3)
Privé (3)
Problématique (6)
Problème (7)
Propriété (5)
Punition (7)
Jugement (8)
Justice (7)
Libéralisme (5)
Liberté (1)
Logique (8)
Loi (4)
Raison (3)
Raisonnable (3)
Rationnel (3)
Réalisme (5)
Reconnaissance (7)
Tolérance (8)
Tradition (4)
Universel (2)
Utilité (1)
Utopie (6)
Violence (6)
121
Réponses aux questions sur les textes
Texte 1
Weil
1 - La société est artificielle, créée ainsi que l’État par la raison et la volonté des hommes. La communauté est naturelle et organique, soudée par des traditions qu’un peuple partage au cours de son histoire.
2 - Du point de vue de la communauté, la société est l’incarnation du mal : l’oubli des valeurs et sentiments communs d’un peuple. Du point de vue de la société, la communauté a le défaut de ne pas être une organisation rationnelle et consciente.
3 - Non. La forme sociale de l’État moderne est un aboutissement historique du développement même de la communauté.
Texte 2
Mill
1 - Non, car l’égalité, en société, ne signifie rien d’autre que l’égale prise en considération des intérêts de tous les membres de cette société.
2 - On le peut, car dans la société, le calcul le plus égoïste conduit justement, par prudence, à s’occuper aussi des intérêts d’autrui.
3 - Bien au contraire, de l’intérêt, de l’utilité, naît un sentiment social que chacun intègre
à sa personnalité, de sorte que nous nous soucions spontanément du bien d’autrui.
Texte 3
Bakounine
1 - Qu’il se sacrifie, qu’il renonce à son individualité au profit du tout.
2 - Non, il n’est rien d’autre que la pure négation de la liberté individuelle. De sorte que ce qu’on présente comme l’intérêt de tous n’est en fait l’intérêt de personne.
Il n’est que l’incarnation du renoncement, la servitude même.
3 - Non, car il n’est qu’un moyen pour les asservir ensemble. Dans une société régie par l’État, les individus s’empêchent réciproquement d’agir, au lieu d’agir ensemble.
Aussi aboutit-on nécessairement à des rapports de domination.
Texte 4
Freud
1 - Pas du tout. Elle lui donne simplement un objet, choisi de préférence hors de la société considérée.
2 - En tant que complément et contrepartie indispensable de l’établissement d’un lien social. Des hommes ne peuvent s’aimer entre eux qu’à condition d’en haïr d’autres.
Au point que l’on peut penser que c’est sur cette haine seule que repose leur amour.
122
3 - Non. Car la satisfaction de la pulsion agressive, aussi commode que soit cette satisfaction, facteur de cohésion sociale, n’a jamais en soi supprimé la pulsion. Elle doit toujours se trouver un autre objet, indéfiniment. En témoignent les multiples persé cutions dont l’histoire est remplie, qui n’ont nullement fait disparaître les guerres ou les crimes.
Texte 5
Rawls
1 - En des droits égaux. Ce sont les droits fondamentaux du citoyen, telles les libertés de base.
2 - C’est d’une part l’équité, selon laquelle les hiérarchies sociale ou économique se font en sorte que chacun y retrouve son compte, son intérêt. D’autre part, c’est l’égalité des chances pour l’accès à toutes les fonctions.
3 - Assurer le respect des droits fondamentaux qui conditionnent l’égalité politique.
Organiser les inégalités sociales et économiques au mieux pour l’ensemble de la société.
Texte 6
Machiavel
1 - Parce que les impératifs d’un gouvernement efficace le contraignent souvent à sacrifier la vertu à l’intérêt.
2 - Comme les qualité morales plaisent au peuple, il est aussi dans l’intérêt du prince de paraître les avoir, lorsque cela ne lui est pas préjudiciable.
3 - Le peuple ne juge pas le prince d’après les moyens qu’il utilise, mais d’après les résultats de ses actions. Or sa finalité, la préservation de l’État, n’est pas en soi morale.
Texte 7
Hegel
1 - Parce qu’au-delà de ses aspirations personnelles, tout homme est un être doué de raison. Par la raison – ce qui est identique en tout homme – chacun découvre ce qu’il a de commun avec les autres hommes, et ainsi s’élève à la dimension de l’universalité.
2 - En ce qu’il peut seul résorber les contradictions qui traversent nécessairement la société, faite d’individus différents, poursuivant des buts et des intérêts souvent opposés. Il lui donne l’unité, l’identité à laquelle elle tend sans y parvenir jamais.
3 - Parce que, dans cette perspective, l’État devient un simple auxiliaire, un moyen au service de la volonté individuelle poursuivant ses intérêts individuels. Son autorité s’en trouve, par avance, sinon réduite à néant, du moins fortement diminuée.
Texte 8
Rousseau
1 - La quête incessante et irréfléchie du pouvoir (puissance, ambition) et l’amourpropre (désir d’être reconnu, admiré) qui constituent à la fois l’effet et le ressort essentiel d’une vie sociale, vaine et artificielle.
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2 - Son repos, remplacé par le travail, et sa liberté, à laquelle se substitue ce lien de dépendance sociale qui repose sur la servitude, la domination et la quête de reconnaissance.
3 - Rien ou la satisfaction de désirs vains. Car si l’on voit bien les sacrifices que l’existence en société implique, on voit beaucoup moins quels seraient les avantages réels qui les compensent. À tel point que les notions de bien et de mal y sont très brouillées.
Texte 9
Locke
1 - Non. Car la fin de la société, c’est précisément la préservation de la propriété privée,
élément fondateur du lien social.
2 - Préserver la propriété et, plus généralement, l’intérêt des individus.
3 - Non. Car il cesserait immédiatement d’être un État, c’est-à-dire une autorité politique.
Il ne serait alors que pure violence, illégitime, qui ne mérite, en retour, qu’une résistance tout aussi violente.
Texte 10
Aristote
1 - Parce qu’il ne recherche pas seulement la satisfaction de ses besoins vitaux, mais désire également et surtout vivre heureux.
2 - Non. Un être en dehors de la société est soit au-dessus de l’homme : c’est un dieu, soit au-dessous de l’homme, dégradé : c’est une bête.
3 - Par le discours, c’est-à-dire la parole accompagnée de raison, les hommes partagent dans leur vie en commun des notions générales : morales, utilitaires ou autres, tandis que les autres animaux n’expriment, isolément, que leurs sensations individuelles.
Texte 11
Smith
1 - Ce n’est pas le dévouement au bien public, mais plutôt celui à son propre intérêt qui conduit chaque acteur de la vie économique à accroître la richesse nationale et à servir ainsi, sans le vouloir expressément, l’intérêt de toute la société.
2 - Non, la « main » de l’État tire des ficelles bien visibles : juridiques, politiques. Il s’agit des lois du marché, des lois économiques, lois invisibles qui régissent les échanges.
3 - Ce serait une grave erreur, un politique n’ayant ni intérêt ni compétence particulière pour prendre des décisions dans ce domaine.
Texte 12
Marx et Engels
1 - Parce qu’une division naturelle du travail lui impose des activités qu’il ne peut ni choisir, ni diversifier.
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2 - Non. Une société communiste, visant l’intérêt commun, organise la production sur la base d’une collaboration libre et volontaire entre les individus.
3 - a. À condition que soit ressentie comme insupportable la contradiction entre le désir d’être maître de soi, de ses désirs, de ses choix et la coercition imposée par une puissance extérieure.
b. À condition que cette humanité appauvrie « vive en conflit avec un monde existant de richesse et de culture ».
Texte 13
Marx
1 - L’état des « forces productives ». C’est-à-dire l’activité matérielle des hommes, leur
énergie pratique, les efforts qu’ils déploient dans la nature pour assurer leur existence.
2 - Les forces productives déterminent les relations humaines et la consommation, qui déterminent la société civile : la famille, les classes, qui à leur tour déterminent les conditions politiques.
3 - Qu’ils en soient conscients ou non, les hommes ne choisissent pas vraiment les modalités de leur vie en société. Leur liberté est réduite, ou illusoire, dans la mesure où l’histoire leur impose des conditions de fait.
Texte 14
Aristote
1 - Oui, dans la mesure ou un nombre plus élevé de citoyens offre simplement plus de chances de trouver, par l’addition des talents individuels, les vertus nécessaires pour bien administrer les affaires de l’État.
2 - Oui, un individu est supérieur à d’autres dans la mesure où on trouve en lui unies, rassemblées, portées à leur achèvement, des qualités qui sont chez les autres isolées, partielles, imparfaites.
3 - Pas nécessairement. Et surtout pas lorsque, tels des animaux sauvages, le peuple est entraîné par le déchaînement des passions et l’irrationnel, qui traversent parfois la vie en société.
Texte 15
Arendt
1 - À vrai dire, ce qu’elle soumet à des règles, ce sont les comportements. Ceux-ci ne sont pas des actions à proprement parler, car ces dernières sont, par définition, essentiellement uniques et imprévisibles.
2 - Non. C’est l’inverse qui est vrai. L’égalité ne prend le sens qu’elle a actuellement qu’à partir du moment où la société de masse s’instaure, imposant partout des comportements uniformes.
3 - Elles en sont exclues de deux façons. Soit elles sont confinées dans la sphère strictement privée : la famille, les proches, soit elles sont condamnées comme des comportements anormaux, marginaux.
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Texte 16
Hume
1 - Bien au contraire, c’est grâce à cette dépendance qu’ils s’élèvent et acquièrent des vertus, des perfections qu’ils n’auraient pas eues autrement.
2 - Ceux d’abord qui tiennent à la nature humaine : son imperfection, ceux ensuite qui naissent des insuffisances individuelles, personnelles de chacun de nous, ceux enfin qui sont suscités par l’ordre des choses : le hasard.
3 - Non, c’est essentiellement cette affection fondamentale, l’amour, qui pousse un être
à se lier à un autre que soi et à se reproduire.
Texte 17
Kant
1 - L’homme a le goût des honneurs, de la possession, de la domination. Vanité, jalousie,
égoïsme le poussent à s’affirmer en s’opposant aux autres.
2 - Non pas parce que les bons penchants domineraient les mauvais, mais parce que les mauvais penchants ne peuvent être satisfaits que dans un cadre social. En somme, la nature exploite les mauvaises dispositions des hommes pour leur extorquer leur accord.
3 - Pas du tout. Une parfaite concorde endormirait les hommes, qui vivraient dans la paresse. Au contraire, l’individualisme pousse l’homme à se dépasser, à cultiver ses talents, sa raison et même sa moralité.
Texte 18
Nietzsche
1 - Par deux moyens : par la force sur le plan matériel, et sur le plan imaginaire, symbolique, par l’attrait du désir de sécurité, des honneurs et du pouvoir.
2 - Il tient lieu de dieu pour ceux qui n’en ont plus. On attend de lui qu’il permette de résoudre tous les problèmes, de la même façon qu’on l’attendait jadis de la
Providence divine.
3 - Une société fondée sur les lois et coutumes qu’un peuple produit en propre, qui expriment une création originale de valeurs. L’État est la négation de cela, au nom d’une universalité désincarnée.
Texte 19
Engels
1 - L’État maintient l’ordre dans la société en amortissant le conflit entre les classes antagonistes.
2 - L’État n’est en réalité qu’un instrument de répression et d’exploitation au service de la classe dominante.
3 - L’État est appelé à disparaître, dans une société sans classes, donc sans exploitation.
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Texte 20
Hobbes
1 - Non, parce que les hommes sont portés par nature à s’attaquer et à se faire du tort.
Une garantie supplémentaire est donc requise.
2 - Chacun doit échanger sa liberté contre la sécurité, et pour cela renoncer au droit de se gouverner soi-même.
3 - C’est en inspirant l’effroi que l’État, entité énorme et écrasante, « dieu mortel », peut décourager les désobéissances et assumer sa tâche essentielle de protection.
Texte 21
Hobbes
1 - Le Souverain n’a aucun compte à rendre aux sujets, son pouvoir est illimité et sa liberté absolue. Chaque particulier doit s’engager à accepter cela comme une nécessité.
2 - Un pouvoir souverain limité par le peuple. Le peuple décide des lois ; le monarque,
élu, les fait appliquer.
3 - Si le gouvernant n’est qu’un exécutant auquel le peuple peut retirer sa charge, le
Souverain est en réalité le peuple. Et alors, faute d’un véritable pouvoir souverain, le risque de conflits, de guerre civile, reste entier.
Texte 22
Platon
1 - Oui, dans la mesure où le geste posé, l’action engagée sont justes et bénéfiques.
2 - Non pas l’identité de celui qui agit : riche ou pauvre, ni les moyens qu’il utilise : persuasion ou force, ni sa conformité à la loi, mais ce en vue de quoi un tel acte est accompli. Si l’action se fait dans l’intérêt de celui sur lequel elle s’exerce, de sorte qu’il s’en trouve mieux, elle est légitime.
3 - Un art, une technique ne peuvent se borner à la pure et simple application de règles, aussi bonnes soient-elles : de même, des lois, quoique nécessaires, ne sauraient suffire pour exercer un véritable art politique.
Texte 23
Hayek
1 - Celle qui en fait une position purement et simplement conservatrice : laisser faire, laisser passer, laisser les choses en l’état actuel. Le libéralisme demande entre autres une armature juridique mieux conçue.
2 - D’abord, il ne nécessite nulle contrainte ou moyens coercitifs pour s’imposer. Ensuite, il s’avère économiquement plus efficace.
3 - D’une part, d’impliquer des contraintes et par conséquent de restreindre la liberté.
D’autre part, de substituer une volonté arbitraire ou une construction idéologique à l’ordre réel des choses, celui des réalités économiques.
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Texte 24
Weber
1 - Non pas par le contenu, très diversifié, de son action, ou les fins visées, mais par le moyen utilisé toujours et partout : la violence physique.
2 - Pour éviter à une structure sociale de sombrer dans l’anarchie.
3 - C’est que l’État en a le monopole : il empêche ainsi l’usage incontrôlé de la violence entre les individus eux-mêmes.
Texte 25
Hume
1 - C’est, en droit, un fondement bon et légitime ; mais qui, en fait, n’a que rarement réellement existé.
2 - Jamais. Lors des bouleversements politiques, seules la force et l’habileté politique tranchent. Lorsque le pouvoir est solidement établi, il s’impose de fait à tous.
3 - Non. Les individus sont prisonniers de conditions de vie linguistiques, matérielles, financières, qui ne leur laissent pas le choix de modifier quoi que ce soit à leur situation particulière ou au cours des choses.
Texte 26
Spinoza
1 - Le jugement de la saine raison : l’État ne peut aller jusqu’à adopter des mesures qui nuiraient à son autorité même. Et la liberté des individus, qui doit être préservée dans une certaine mesure.
2 - Elle en est la finalité : un État n’est légitime que s’il a la liberté pour fin. La difficulté est que certains usages de la liberté remettent en question l’autorité de l’État ainsi que la paix.
3 - Oui, mais uniquement en tant que moyens, conditions indispensables permettant à l’homme d’être libre. Ce serait une perversion inacceptable que d’en faire des fins en soi, car on inverserait alors l’ordre des priorités.
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